On ne peut bien sûr que se réjouir du vif regain d'intérêt, tant artistique qu'universitaire que les opéras de Francesco Cavalli connaissent depuis quelques années. Il n'en reste pas moins que le long hiatus qu'ont connu les...
moreOn ne peut bien sûr que se réjouir du vif regain d'intérêt, tant artistique qu'universitaire que les opéras de Francesco Cavalli connaissent depuis quelques années. Il n'en reste pas moins que le long hiatus qu'ont connu les représentations de ces opéras pose aux interprètes du compositeur vénitien des questions et des problèmes d'exécution qui ne sont pas toujours faciles à résoudre. Dans les paragraphes qui suivent je voudrais dans un premier temps élaborer un simple cadre théorique afin de traiter de ces questions d'interprétation, pour affronter ensuite une question particulière : comment aborder l'interprétation du récitatif de Francesco Cavalli 83 . C'est un fait bien connu que les opéras de Francesco Cavalli ont cessé d'être joués assez vite après la mort du compositeur (1676). Par ailleurs, l'évolution rapide de l'opéra comme genre à la fin du XVII e et au début du XVIII e siècle a poussé les chanteurs d'opéra à développer des qualités d'interprète assez différentes de celles qui étaient requises pour interpréter les opéras de l'époque de Cavalli. On sait en particulier que dans les premières décennies du XVII e siècle, la distinction entre les fonctions de chanteur et d'acteur était beaucoup plus ténue que dans les périodes suivantes. C'est sans doute cette superposition des talents d'acteur et de chanteur, indispensable pour jouer ces opéras, qui pose le plus de difficulté aux chanteurs contemporains, notamment en ce qui concerne l'interprétation de la partie la plus théâtrale de l'opéra, le récitatif. Le premier point plus théorique sur lequel je voudrais insister pour commencer est qu'il est essentiel de distinguer deux problématiques lorsqu'on affronte l'interprétation d'un récitatif de Cavalli. La première problématique est la plus évidente (et comme telle, elle a tendance à masquer la seconde) : comment le chanteur baroque affrontait-il le récitatif ? Cette question concerne bien sur la déclamation et la gestuelle, mais aussi le costume, l'éclairage, etc. La réflexion sur cette problématique « historique » a bien sûr beaucoup progressé ces dernières années, notamment grâce à des metteurs en scène-acteurs comme Benjamin Lazar, formé par Eugène Green, le pionnier de cette approche. Cette problématique, évidemment fondamentale pour comprendre la déclamation du récitatif, ne doit pourtant pas occulter une autre série de questions liées à la nature même du fait théâtral. Comme l'a magistralement démontré Anne Ubersfeld, il y a maintenant plusieurs décennies 84 , une analyse sémiotique du texte théâtral révèle que le dialogue de théâtre est un texte « troué », c'est-à-dire qu'il manque au niveau de l'énonciation des éléments essentiels pour définir son sens, et que, par conséquent, c'est un texte qui, par définition, doit être « interprété ». Penser donc qu'une recherche historique puisse combler ces « vides » revient à ne pas bien mesurer la nature même du texte théâtral et le rôle essentiel de définition du sens que doit jouer le 83