i 5
LA MUSIQUE BYZANTINE
ET LE CHANT LITURGIQUE DES GRECS MODERNES
Les savantes études d'hymnographîe grecque, dont l'essor merveilleux a suivi de près la découverte heureuse et les doctes travaux du cardinal Pitra, doivent trouver leur complément dans l'étude de la musique byzantine.
Le chant est le premier motif del' isosyl- labie et de Y homotonie , ces deux lois fondamentales du lyrisme byzantin. Au surplus, les premiers mélodes n'étaient pas seulement de simples faiseurs de vers, ατν/ο-κο'.οΐ , mais, suivant l'étymologie du mot μελωδός, de véritables aèdes chrétiens qui composaient eux-mêmes la mélodie de leurs hymnes. Il résulte de cela que la versification lyrique des byzantins est liée à la musique d'une façon aussi étroite que celle des anciens Grecs. C'est donc seulement au jour où nous aurons rendu à leurs poésies le chant qui en était l'âme, que nous pourrons nous flatter d'entrer avec eux en parfaite communication de sentiments et de goûter toutes les beautés de leurs chefs-d'œuvre.
I
Depuis un quart de siècle, on a beaucoup écrit sur la musique de saint Jean Damascene. Toutefois, ce ne sont, pour ainsi dire, que les prolégomènes de l'art musical byzantin qui nous ont été exposés dans le plus grand nombre d'études publiées sur le chant religieux des Grecs modernes. Ce chant, il faut en convenir, renferme en lui-même des beautés remarquables, des qualités musicales qu'il est temps d'étudier et d'apprécier à leur juste valeur.
Les Européens qui visitent l'Orient, ceux même d'entre eux qui l'habitent depuis nombre d'années, sont en général d'un avis un peu contraire; mais, ont-ils tous qualité pour apprécier une telle mu-
Echos d'Orient. 'i° année. — N" 12.
sique? Leurs jugements sont-ils fondés sur desobservationsetdes études sérieuses? Il est permis d'en douter.
En présence des ruines antiques, l'artiste découvre la magnificence d'un ancien édifice et les merveilles de l'art, là où le simple passant n'aperçoit que décombres et débris épars. Ainsi, dans cet Orient qui conserve, inconscient, les restes précieux de plusieurs civilisations, si l'on sait écouter, il est impossible de ne pas percevoir dans la voix des peuples nouveaux quelque chose du pur accent des ancêtres, et dans leurs chants, plus d'une réminiscence des vieux airs dont s'égayaient les aïeux. Le voyageur qui, d'aventure et sans entendre le grec, assiste à quelqu'une des longues cérémonies orientales agrémentés de chants papadiques (i), emportera certainement des impressions défavorables sur le sentiment musical des Hellènes.
Ces mélodies, surchargées d'arabesques et de fioritures qu'on éternise à plaisir, sur un alpha, un iota, avec, pour toute harmonie, l'exécrable teneur de Tison, font aisément croire à l'étranger qu'il vient d'entendre un spécimen de ces hymnes sacrées que les prêtres grecs de l'antique Egypte exécutaient en l'honneur d'Osiris sur les sept voyelles de l'alphabet! En tout cas, l'oreille d'un auditeur européen ne peut qu'être froissée du mode nasillard de l'exécution, mode étrange, décoré du beau
nom de Style byzantin (υφός το βυσαντινον).
qui n'est après tout que le style, Yhyphos turc.
Le véritable chant byzantin, ne consiste pas précisément dans les airs papadiques,
(1) Catégorie de chants très lents, ornés de nombreux mélismes. Elle comprend surtout la musique des tropaires ; dits : Κοινωνικά et les Χερουβικά. Ces mélodies étant les plus difficiles, les premiers chantres seuls les exécutaient autrefois, de là leur nom de chants papadiques, c'est-à-dire chant des magisters.
Septembre 1898.