Academia.eduAcademia.edu

La justice de Giotto

2018

Abstract

Pourquoi, dans la Chapelle des Scrovegni, dans un cycle de peinture dédié au « sacré » par excellence (la Vie du Christ et le Jugement Universel), Giotto représente-t-il la Justice et l'Injustice en position centrale, également d'un point de vue physique, en les représentant avec des formes et des attributs parfaitement terrestres, laïques en somme? Voyons un peu. 2 Giotto personnifi e la Justice, et la personnifi cation de cette vertu suprême correspond à un emploi très antique et généralisé: dans la Grèce antique Némi, fi lle d'Uranus, personnifi ait la justice et dans la représentation courante elle présentait la corne d'abondance et la balance; auprès des Égyptiens il y avait Maat, fi lle du dieu Rê, qui portait aussi une balance. Giotto donne à sa Justice les formes d'une femme couronnée, bienveillante, séduisante même, qui agit comme étant elle-même une balance (qu'en fait elle ne possède pas, ainsi que l'épée). C'est ainsi que, dans chacune de ses mains, elle tient un plat. Dans l'un (le plat à gauche de l'observateur) il y a un jeune homme ailé qui couronne un bon, 3 dans l'autre (le plat à droite de l'observateur), il y a un vieux ailé qui décapite un méchant. En face de la Justice, Giotto représente son contraire, l'Injustice, en la personnifi ant dans un homme âgé mais vigoureux encore, vêtu d'une toge, en toute probabilité un juge, dans une attitude qui vise à en souligner la personnalité cruelle et perverse (à tel point qu'il se désintéresse des crimes qui sont commis juste au-dessous de son siège, dans une scène non encadrée qui constitue un continu avec la fi gure supérieure): en eff et, les nombreux arbres qui entourent ce sinistre personnage structurent le contexte favorable au guet-apens. Il s'agit ici d'une iconographie qui, de toute évidence, « lit » l'Éthique à Nicomaque d'Aristote.

Key takeaways

  • À cette époque « le philosophe » (c'est ainsi qu'Aristote était couramment appelé dans le Bas Moyen Âge) avait été rendu à la pensée occidentale par la médiation arabe d'Averroès, dont les commentaires relatifs à Aristote étaient arrivés à l'Université de Paris environ en 1230; et, entre le XIV ème et le XV ème siècle, l'Université de Padoue était sur le point de devenir le premier centre européen d'études sur l'aristotélisme.
  • Au-dessous de la Justice, Giotto représente une scène de vie ordonnée et pacifi que: deux soldats à cheval qui vont à la chasse, un petit chien, un arbre, deux danseuses, un homme qui joue au tambourin, une maison de paysans avec un autre arbre, deux marchands à cheval avec les marchandises dans leurs sacs.
  • Au XII ème siècle le moine camaldule Gratien, professeur de droit canonique à Bologne, affi rme dans son Decretum que la loi humaine doit toujours s'accorder à la lex aeterna, c'est-à-dire à la loi divine.
  • C'est un discours qui continue dans le domaine concret des facultés humaines: justice et injustice sont propres à l'homme, notamment à l'homme qui juge, et la volonté de l'agent est déterminante, la volonté de donner à un homme ce qui lui revient par rapport à un autre homme, une volonté face à laquelle la raison cognitive est un prius nécessaire, mais qui ne suffi t pas à exprimer un acte de justice.
  • On a remarqué qu'aux débuts du XIV ème siècle la doctrine théocratique parvient à son apogée avec la bulle Unam sanctam de Boniface VIII, qui postule la subordination totale du pouvoir civil à la papauté: « Chez tous ceux qui soutiennent la théocratie l'on trouve la même stratégie argumentative, les mêmes citations de nature: union du mâle et de la femelle, protection et croissance des petits, etc.