2014
Numéro 117 | 2014 Entre la sémiotique et la mode, il y a une histoire d'amour torturée. Greimas en avait fait l'objet de sa thèse de doctorat mais il a jugé le résultat décevant, de sorte que l'on pourrait dire, si l'on écrivait des romans, que la sémiotique greimassienne est née de la déception lexicologique que la mode lui a laissée. Dix années plus tard, Barthes relevait le gant mais le livre qui fait état de ce pari le donne pour manqué, à la fois décevant et obsolète dès le moment de la publication. Qu'est-ce donc qui ne va pas avec la mode ? Et qu'est-ce donc qui ne va pas avec la sémiotique ? Car une histoire d'amour, ce sont les romans qui l'affirment, ça s'écrit à deux. Avant de se demander pourquoi cette histoire a mal tourné, cherchons à voir, au sujet de Barthes, ce qui avait pu l'y embarquer. La mode, au fait, a bien des attraits : elle est affaire de goût et de distinction, d'apparences et de détails. Elle est prétexte au fantasme, la distinction sociale qu'elle laisse transparaître pouvant être transcendée dans une forme de vie, par exemple pour le dandy pétri d'ascétisme de Baudelaire et de Swann 1. Il est vrai que sa valeur s'inverse souvent, qu'un trait d'originalité est bientôt converti en indice de conformité et que la menace d'une indifférence généralisée la guette. Mais c'est en cela qu'elle se trouve être un objet mythologique et demande à être traitée par l'analyste avec un accommodement respectant ses ambiguïtés. Les signes de la mode ne sont pas de purs symboles parce qu'ils sont incorporés : leur expression est investie par un sujet, exactement comme il en est des signes linguistiques. Dans des entretiens faisant suite à la parution du Système de la Mode, Barthes présente d'ailleurs explicitement son étude sur la mode comme le déroulement d'un programme énoncé dans « Le mythe, aujourd'hui », la postface théorique des Mythologies 2. Barthes peut dès lors consacrer le mariage, à la fois raisonnable et idéal, entre la sémiologie et la mode. On se rappelle que, dans les années 60, la sémiologie a un programme scientifique et disciplinaire qui lui impose d'avoir des objets en propre. Ces objets ont été désignés par le père fondateur : la sémiologie « étudie la vie des signes au sein de la vie sociale » 3. Aussi la mode est-elle un objet tout destiné à la sémiologie. La mode se gouverne en suivant un rythme propre et elle intervient quotidiennement dans la vie en société, à l'instar de la conversation et de la nourriture. Elle est promue au rang de « bon objet » pour la sémiologie dans la mesure où, « parlée par tout le monde et