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La haine, c'est les autres!

2021, Editions le bord de l'eau

Abstract

La haine, c'est les autres ! Béatrice Fracchiolla et Lorella Sini Au-delà des émotions, les notions d'altérité et de haine se définissent étroitement l'une en relation avec l'autre et se réfèrent autant aux objets qu'aux personnes 1. Dans le discours de haine, la personne visée peut l'être en référence à son appartenance à une communauté dite marginale, ou encore minoritaire. Dans ce cas, ce peut être des représentant•es d'une figure de l'altérité comme l'étranger, le juif, la personne LGBTQIA+ 2 , la femme, le noir, l'arabe, qui ne sont plus considéré•es comme des êtres humains au sein de la diversité des autres êtres humains. Le rejet induit par le discours de haine se focalise alors sur certains traits physiques, sexuels, genrés, ethniques, etc. Traits en raison desquels ces personnes peuvent être perçues comme « hors-normes » et au travers desquels certain•es se sentent menacé•es dans leur propre existence, pour une raison ou pour une autre. Aux origines de l'altérité L'altérité, qui s'articule à l'identité, est ce par quoi passe la construction de notre être affectif et social dès notre naissance. Elle se construit chez l'enfant par la comparaison, au cours d'un processus d'apprentissage de la logique, qui aboutit à la classification d'éléments d'un ensemble : c'est le processus de « discrimination ». Cette phase consiste à apprendre à distinguer les choses les unes des autres et donc, nécessairement, à les classifier, les catégoriser. Cela conduit à des opérations d'inclusion/exclusion de groupe, sur la base de certains critères qui distinguent le même du différent (les fruits des légumes, et au sein des fruits, les agrumes, etc.)-ce que Jean Piaget a été l'un des premiers à mettre en évidence dans ses travaux sur l'acquisition de la logique chez l'enfant 3. Nous sommes ainsi toutes et tous instinctivement amené•es à faire des choix c'est-à-dire à discriminer, au premier sens du terme. Et cette opération permanente, qui va avec la logique naturelle propre au fonctionnement cognitif de notre cerveau, contraint à essentialiser certains traits ou caractères communs dans une série d'unités. C'est sur cette base que nous construisons notre savoir et notre connaissance du monde. Lorsqu'adultes nous pensons l'altérité dans l'espace public, nous nous référons généralement à cet autrui, en qui nous reconnaissons un trait d'humanité qui en fait un être semblable à soi ou, au contraire, un être différent de soi. Cette (non) reconnaissance s'accompagne de discours qui construisent et déconstruisent l'altérité en fonction du contexte culturel, historique, linguistique. La perception du monde, et donc des autres, que nous avons élaborée avec les discours qui s'y rattachent, est en effet intrinsèquement liée à l'environnement dans lequel nous avons grandi et été éduqué•es 4. Un enfant qui grandit à la campagne apprendra un certain nombre d'informations importantes sur les animaux utiles qui l'habitent ou dont il faut se méfier ; un enfant né en milieu urbain retiendra au contraire en premier lieu comment traverser les routes sans se faire écraser par une voiture… De même, notre conception d'autrui se construit en fonction de la manière dont on nous a appris à distinguer les « bons » des « méchants » avant de nous rendre compte que cette construction pouvait était réversible.