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Lorsque la voix déchire la lettre

2018, Carnets

Abstract

Si l'émergence du roman (comme langue et discours poétique) au Moyen Âge témoigne d'une émancipation face aux modèles latins et néo-latins qui implique une conscience aigüe d'une dynamique scripturaire agissant au coeur de la fiction, les réflexions menées dans les années 80 par Paul Zumthor et Bernard Cerquiglini ont bien montré que cette littérature naissante ne suppose nullement une rupture face à la matrice orale sur laquelle elle se fonde. Mais l'inverse est tout aussi vrai, les prologues nous rappelant constamment que la légitimité du fait littéraire ne saurait se fonder entièrement sur une éthique de la voix, mais qu'elle suppose de plus en plus une épistémologie de l'écrit dont le texte exhume les vestiges, réels ou fictionnels. Le développement d'une conscience littéraire en langue vulgaire n'est donc ni simple affirmation d'une présence vocale qui résonne au creux de l'écriture, ni pure revendication du pouvoir de la lettre face à une oralité dont le prestige symbolique commence à s'émietter au XII e siècle : comme le montrent les récits, la fiction se définit surtout comme pensée et expérience de l'entre-deux qui émerge de la tension constante, voire des contredictions (R. Dragonetti), entre la lettre et la voix dont les frontières instables et fluides dessinent une poétique de l'incertitude renvoyant très souvent le lecteur au non-lieu d'une impossible confrontation.