Agôn. Revue des arts de la scène
Questionner l'« entrée en scène » au cinéma nécessite que l'on s'intéresse d'une part à ce que peut être une « entrée » (ses natures, ses fonctions), et d'autre part à ce que recouvre la notion de « scène », notion que l'on a d'ailleurs tendance à confronter immédiatement à celle du théâtre, l'intérêt résidant alors dans l'analyse des rapprochements comme des distinctions possibles entre les deux arts. De toute évidence, l'entrée est d'abord celle d'un acteur, d'un personnage, d'un corps, d'une figure (in)humaine. Cela semble aller de soi. Mais il faut également envisager le terme dans son acception la plus large, soit dans la manière dont l'entrée peut inviter le spectateur au récit, l'inviter à prendre place dans la fiction et ce, par tous les moyens que le cinéma peut mobiliser en tant que langage et forme artistique. Cette entrée, généralement visuelle, peut être aussi sonore (comme souvent chez Max Ophuls 1). Elle peut être apodictique comme allégorique ou même métaphorique. Et souvent, lorsqu'on parle d'entrée, on pense à l'installation, à la présentation (des lieux, des personnages, de ce qui fondera l'action première du récit), au commencement (l'incipit soit le début d'un film qui correspondra ou non au début d'une histoire). Mais on pense aussi et surtout à l'arrivée, au surgissement, au dévoilement et ce, à l'échelle du récit tout entier et non plus seulement à son seul démarrage. Dans nombre de films, les personnages ne cessent d'entrer avant ou après être sortis du champ, de l'image, du récit (nous reviendrons sur ces possibilités qui font la richesse du « problème » que pose singulièrement le cinéma). Leurs déplacements multiples sont au coeur des enjeux stratégiques propres à la mise en scène élaborée par certains cinéastes, dont Jean Renoir, Yasujiro Ozu, Kenji Mizoguchi pour ne citer qu'eux. 1 Cf. texte de Philippe Roger, « Un cinéma radiophonique : l'entrée en scène sonore chez Max Ophuls », in présent numéro de la revue Agôn. Notons que Philippe Roger a déjà consacré un texte sur l'entrée en scène dans le cinéma de Max Ophuls : « L'« entrée » en scène chez Max Ophuls », in André Gardies, Jacques Gerstenkorn, Christine Hamon-Sirejols (dir.), Cinéma et théâtralité, Lyon, Aléas, 1994, pp. 93-100. Cet écrit s'intéressait déjà en partie à la question du son, question devenue centrale dans ce le texte proposé dans ce numéro.