1995, Hermès
Les deux rhétoriques Il y a, au principe de la rhétorique antique, une équivoque pour ainsi dire irréductible, qui procède de la conjonction entre une fonction psychagogique-jouant sur les affects de l'âme pour lui faire adopter une ligne de conduite, un êthos-et une fonction argumentative, présidant à la prise de décision dans les domaines politique et judiciaire. La rhétorique conçue plutôt comme psychagogie a une origine probablement pythagoricienne 1 , en tout cas empédocléenne 2 ; elle a pour caractère majeur de viser l'individuel, les dispositions propres à tel ou tel homme, afin de modifier l'état de l'âme, en lui faisant recouvrer la sérénité, à la manière pythagoricienne, ou en captant son attention, à la manière empédocléenne. La psychagogie est à cet égard remarquablement indéterminée quant à ses fins : ainsi Platon, dans la République (X, 605 a-b), associe à la tragédie qu'il récuse une fonction proprement rhétorique, l'éveil des affects comme le chagrin ou la pitié, ce qui équivaut à ses yeux à une insubordination dans l'âme de Γ« inférieur » à l'égard du « supérieur » ; mais le même Platon plaide pour une psychagogie scientifique, émanation de la dialectique, dans le Phèdre (261 a-b, 271c-d). Si toute rhétorique est une psychagogie, elle n'est pas toujours, ni nécessairement, fondée sur une connaissance scientifique des dispositions de l'âme de l'auditeur. Mais, le concéderait-on à Platon, on peut néanmoins se demander légitimement si la rhétorique ordinaire qui est soumise à l'examen dans