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Cinéma et jeux vidéo : trente ans de liaisons

Abstract

université de Paris X, Nanterre, et chercheur associé à la Bibliothèque nationale de France Entre concurrence et connivence, le cinéma peut-il (encore) être considéré comme un modèle pour les jeux vidéo ? 33 P our mesurer le poids du jeu vidéo dans les domaines économique et culturel, la presse, les industriels du secteur vidéoludique et parfois même les pouvoirs publics font un appel récurrent à l'observation suivante : le jeu vidéo est une industrie dont le chiffre d'affaires aurait aujourd'hui largement dépassé au niveau mondial celui du cinéma en salle 1 . Cette considération, éminemment symbolique, tend à penser les deux secteurs comme en concurrence économique et culturelle, tout en induisant un lien de filiation entre cinéma et jeu vidéo. La presse est souvent le lieu où s'illustre le mieux cette tentation généalogiste par un rapprochement intuitif et une supposée compétition économique entre cinéma et jeu vidéo : « L'industrie des jeux vidéo ressemble à Hollywood dans les années 1920, encore à la traîne derrière la radio, mais sur le point de devenir le 7 e art. L'année dernière, aux États-Unis, les jeux ont rapporté huit milliards de dollars, presque autant que le cinéma (neuf milliards). La frontière entre les deux médias devient de plus en plus poreuse 2 . ». Les ressemblances et les similitudes entre les deux secteurs sont nombreuses, mais elles s'avèrent en effet particulièrement pertinentes lorsqu'il s'agit de comparer le secteur du jeu vidéo à un modèle cinématographique économique et culturel particulier : le cinéma hollywoodien. On peut dès lors observer deux industries culturelles d'exportation qui participent à une culture globalisée, présentent des modèles économiques proches -par exemple par leur organisation en studios et la concentration de la production autour de quelques majors -, et donnent un rôle essentiel, dans leur développement, à l'évolution des techniques 3 . Au-delà des questions économiques et techniques, l'on peut relever que cinéma et jeu vidéo partagent, selon les termes d'Olivier Séguret un même « sort social et historique » qui voit « des pratiques à l'origine très populaires » gagner progressivement leurs galons de légitimité, « des objets disgraciés devenus nobles 4 ». Ainsi, la critique de cinéma, dans les colonnes de Libération ou, il y a quelques années, dans les pages des Cahiers du cinéma, se penche D'un point de vue historique, le secteur du jeu vidéo se constitue aux États-Unis au début des années soixante-dix