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Chapitre 5 -Les frontières mobiles de l'expatriation

2018, Migrations, Circulations, Mobilités

Abstract

Un privilège des enseignants français en situation migratoire Sylvain Beck L'expatriation comme forme de déplacement humain a fait l'objet de recherches qui ont montré la diversité du phénomène (Scott, 2004 ; Pierre, 2003) ainsi que les logiques internes de la communauté formée (Beaverstock, 2002). Elle n'a toutefois jamais été considérée en tant que concept. Le terme d'expatriation est ainsi associé à la mobilité internationale sans que ses usages dans le langage commun et dans le langage scientifique ne soient distingués. .Aussi, l'expatriation peut-elle être associée au langage du mobility turn dans la mesure où elle est le fait d'individus globalisés et libres de circuler, qui se déplacent dans un espace-temps réduit par la facilité des moyens de transports et par les nouvelles technologies d'information et de communication. Cette perspective perpétue une distinction entre migrants qualifiés, désirables pour les pays d'accueil, et travailleurs migrants, immigrants indésirables (Faist, 2013 : 1642). Ce paradigme de la mobilité a permis à la recherche en sciences sociales de complexifier l'analyse des déplacements humains en leur conférant une dimension plus souple et plus proche de la réalité spatio-temporelle des acteurs (Simon, 2006 : 13 ; Cortès et Faret, 2009 : 7). De même, la notion de circulation des migrants (Berthomière et Hily, 2006 : 67) a rendu possible d'interpréter la migration autrement que comme un déplacement entre deux territoires nationaux (Tarrius, 1996 ; Arab, 2008 : 23). Ces analyses microsociologiques des déplacements sont à rapprocher du transnationalisme dans la mesure où ce sont des pratiques initiées et soutenues par des acteurs non-institutionnalisés organisés en groupes et en réseaux à travers les frontières nationales (Vertovec, 2009 : 29 ; Hily, 2009 : 25). Une focalisation excessive sur les pratiques des acteurs tend cependant à faire disparaître les cadres dans lesquels s'inscrivent ces déplacements (droit à la nationalité, conditions d'intégration économique et sociale, liberté de circuler à travers les frontières, etc.). Ce passage d'un paradigme migratoire à un paradigme mobilitaire interroge l'évolution de la question sociale d'une échelle nationale vers une échelle globale et le « faire société » dans un monde globalisé. Dans la mesure où la fluidité remettrait en question la cohésion sociale (Taguieff, 2004 : 119 ; Belton-Chevalier, 2015), la migration et la mobilité sont à considérer comme des voyages situés dans l'espace, dans le temps et dans la hiérarchie sociale (Lévi-Strauss, 1955 : 93 ; Berthomière et Hily, 2006 : 71 ; Simon, 2006 : 14). Ces trois dimensions indissociables permettent de dépasser les recensements administratifs et l'intégration dans la société d'accueil. En effet, les nouveaux arrivants n'ont pas nécessairement pour projet de s'installer et sont limités aux places que leur laisse la société d'accueil. Or, les perspectives sociologiques qui défendent ou réfutent la mobilité ne parviennent pas à s'affranchir de déterminations idéologiques : deux mouvements opposés peuvent être dégagés. Ils se caractérisent par un excès de généralisation, un manque de matériau empirique ou de comparaison. L'un considère les déplacements humains dans un paradigme de la mobilité : dépassant le « nationalisme méthodologique », il met en évidence une somme d'individus en compétition dans un village global (Beck, 2006). Cette perspective rejoint un discours néolibéral qui suppose que la société n'existe pas (Urry, 2000 ; 2006). L'autre, réfractaire à la vision globale, rejette un certain « bougisme », c'est-à-dire une recherche permanente de créativité que suppose la mobilité (Taguieff, 2004). Cette tendance conservatrice défend davantage une cohésion sociale fondée sur le cadre national et son histoire : dans un rapport de domination, la sédentarisation des locaux s'opposerait à l'internationalisation des élites, dont le capital mobilitaire (Ceriani, 2008 : 246) serait en faveur d'un groupe social dominant, car mondialisé de longue date selon une certaine « culture internationale » (Wagner, 1998 ; 2007). Ainsi s'opposent une tendance individualiste et une tendance collectiviste qui présentent chacune la mobilité avec emphase. Mais puisque la société peut prendre d'autres significations que celle de l'État-nation (Chernilo, 2006 ; Hobsbawm, 1990), elle peut également prendre différentes formes selon le niveau d'analyse (Labelle, 2015). Le concept d'expatriation et ses frontières subjectives offrent ainsi la possibilité...