2017, C. Ciocan, A. Vasiliu (ed.), Lectures de Jean Luc Marion, Cerf
Parler du rapport entre la philosophie de Jean-Luc Marion et l’œuvre de Levinas n’est pas une tâche facile. D’abord, parce qu’il ne s’agit pas de l’influence qu’un « disciple » reçoit de la part d’un « maître ». On ne peut pas non plus réduire le rapport Marion–Levinas à une simple réception de l’œuvre d’un philosophe dans l’œuvre d’un autre. Il faut plutôt parler d’une Auseinandersetzung où les deux philosophies se transforment à la fois, dans une alchimie imprévue et imprédictible. Car il y a non seulement un généreux accueil de la philosophie de Levinas dans l’œuvre de Marion, mais nous pouvons trouver aussi un dialogue concret et direct entre les deux penseurs, et même un certain écho de la philosophie de Jean-Luc Marion dans l’œuvre de Levinas. Pour bien entendre cet enjeu, il faudrait préciser d’abord, d’une manière très nuancée, aussi bien la proximité que l’éloignement, aussi bien la dette initiale que sa transformation subséquente. En effet, si la philosophie de Levinas jouit d’une irradiation complexe dans l’œuvre de Marion, cela ce passe – comme presque toujours dans l’histoire de la phénoménologie – sous la figure d’une fidélité qui s’éloigne, d’un voisinage où creuse déjà une différence, d’un attachement initial qui laisse s’entrevoir une séparation ultérieure. Mais, comme cette ambivalence ne se manifeste pas toujours d’une manière explicite, il faudrait aussi avoir en vue un niveau souterrain, implicite, où se déploie la rencontre proprement dite de ces deux pensées. Alors, il faudrait évaluer la relation entre les deux philosophes non seulement en ce qui concerne ce que les textes disent explicitement, mais aussi en ce qui y est implicitement. Ainsi peut-on discerner bien sûr des dettes explicites, mais aussi des dettes tacites, tout comme on peut surprendre des critiques explicites, mais aussi des critiques tacites.