Dans les écrits en communication, l'analyse par le philosophe Jürgen Habermas du modèle de l'espace public bourgeois du 18 e siècle et de sa dégénérescence a rencontré une critique constructive qui a considérablement enrichi, au cours des cinquante dernières années, les débats théoriques sur les rapports entre les médias, la société et l'État. Une autre source de critiques constructives qui est toutefois moins bien circonscrite dans les manuels d'introduction aux théories de la communication se trouve du côté des études féministes. Se posent alors les questions suivantes : quel est l'apport spécifique des études féministes (women's studies) à la théorie de l'espace public ? En quoi un questionnement féministe introduit-il de nouvelles considérations pertinentes à son analyse et à sa reformulation théorique ? Ce chapitre a pour but de combler une lacune dans les écrits en communication par une introduction synthétique et vulgarisée sur l'apport de la pensée féministe à la théorie de l'espace public. Dans un premier temps, le texte examine les rapports entre féminisme et études féministes pour souligner les spécificités d'un questionnement féministe sur l'espace public. Dans un second temps, la traduction de ce questionnement dans la reconstruction de la théorie de l'espace public par la philosophe Nancy Fraser est mise en évidence et explicitée. Par une brève synthèse vulgarisée des quatre postulats fondateurs posés par la philosophe, l'originalité et la fertilité d'un questionnement produit à partir d'une posture théorique féministe se révèle : il a pour caractéristique centrale le souci constant d'inclure les femmes dans la réflexion théorique comme dans la pratique politique afin de remédier aux inégalités entre les sexes (et également, à toute forme d'oppression). Alors que Nancy Fraser est l'une des auteures féministes les plus citées en communication pour son concept de « contre-sphères publiques subalternes », qui a connu des développements fructueux dans les études sur les médias alternatifs en particulier, la dimension féministe de sa démarche est régulièrement passée sous silence. En rappelant le projet émancipateur féministe au fondement de la démarche de la philosophe, ce chapitre resitue la contribution de cette auteure influente dans le contexte plus général d'un projet démocratique transformateur et inclusif qui rejette tout universalisme aveugle aux rapports de domination.