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Sport et civilisation : la violence maîtrisée

Abstract

Le titre, emprunté à Elias et Dunning 2 est une provocation dont le choix n'est pas anodin car il traduisait pour ses auteurs d'une part, le processus de civilisation des sociétés occidentales modernes à travers l'euphémisation et le contrôle (et l'apprentissage de l'autocontrôle) de la violence 3 et, d'autre part, la fonction éducative et préventive « prêtée » aux « sports » modernes qui dès, leur genèse, furent socialement instrumentalisés pour participer à l'euphémisation de ces violences. Le paradoxe est en effet criant entre la théorie eliassienne et les violences, multiples et nombreuses observables tant dans la société civile que sportive. Comment comprendre et interpréter l'écart entre cette théorie et la montée du sentiment d'insécurité en Europe, voire, dans certains pays, l'augmentation de la violence ? Elias, pour construire sa théorie, semble avoir ignoré ou feint d'ignorer certaines formes de violences qui existaient, ou apparaissaient, à son époque : le nazisme en est un exemple. Finalement, quelles limites donner à cette théorie si souvent usitée dans les études relatives au sport et « en quoi l'oeuvre de Norbert Elias peut-elle nous aider à réfléchir la violence contemporaine » 4 ? Petits rappels : du « procès de civilisation » au contrôle de la violence par le sport Elias, autour de la théorie centrale du « procès de civilisation » s'est essentiellement attaché à décrire, en établissant un équilibre entre l'idéographique et le nomothétique, l'élaboration, l'apprentissage et l'affinement des conduites et des normes comportementales et socialement acceptables qui ont conduit à la formation des sociétés occidentales entre le Moyen age et le 20 ème siècle. Pour lui les sociétés modernes se sont structurées à travers la censure de l'agressivité et le monopole étatique de la violence, la « curialisation » des guerriers, l'introduction de normes de civilités, de propreté et de respect, l'euphémisation de la violence et l'apprentissage de l'autocontrôle individuel des pulsions. Inventé en premier lieu pour parfaire l'éducation des jeunes gens appartenant à la « haute société anglaise, l'aristocratie terrienne et la gentry » le sport, en raison de l'émergence des temps libres, s'étend progressivement au reste de la société en offrant, tout à la fois, un moyen « d'apprentissage du contrôle et de l'autocontrôle des pulsions » (respect des règles, de l'adversaire, de l'arbitre, apprentissage technique, coopération entre les pratiquants des sports collectifs, etc.) et un « espace toléré de débridement des émotions » (pratique physique servant d'exutoire, présence de spectateurs qui encouragent et vocifèrent). L'intérêt et la force du travail d'Elias résident dans sa capacité à articuler politique et culturel en même temps que collectif et individuel en réussissant à articuler contrôle de la violence dans et par la société et apprentissage de l'autocontrôle 5. Dans cette perspective, le sport offre un espace particulier, car il n'entre pas dans le cadre des activités routinières mais consiste en une pratique ou un spectacle librement choisi en dehors des contraintes sociales habituelles. Le sport est instrumentalisé en devenant un « espace toléré de débridement des émotions », un moyen de « contrôler-décontrôler » les émotions.