Dans un article désormais célèbre , N. Katherine Hayles soutient que l'attention cognitive doit être 1 désormais pensée selon deux modes distincts. L'un lié à la pratique de la lecture du livre imprimé, qu'elle nomme attention profonde ( deep attention ), l'autre lié à la pratique du jeu vidéo et aux réseaux, qu'elle nomme hyper attention . S'appuyant sur une étude réalisée auprès d'étudiants, Hayles y voit un bouleversement cognitif générationnel avec le développement du second au détriment du premier. Elle ne juge pas cette mutation, constatant que chaque mode a ses avantages et ses limites. Elle en relève néanmoins les effets sur l'écriture et la lecture, non pour asséner leur disparition, mais pour en relever les mutations. Dans une conférence non moins célèbre , Peter Sloterdijk affirme que notre époque, 2 caractérisée par le passage de l'imprimé aux réseaux, est marquée par le post-humanisme, c'est-à-dire par le dépassement et la fin d'un monde, un monde constitué d'amis rationnels et raisonnables réunis par une célébration commune de livres et d'auteurs nationaux. Pour l'art théâtral, les enjeux de cette double analyse, l'avènement du post-humanisme et de son corollaire, la mutation de l'intelligence humaine sous l'effet de l'interaction homme / machine, sont considérables. Le spectateur de théâtre est encore souvent décrit comme un spectateur des Lumières, autrement dit un être ontologiquement lié au livre imprimé, construit par l'éducation et par l'art. Le théâtre est la seule pratique artistique qui désigne aussi bien un lieu, un art qu'un genre littéraire. Née avec l'esthétique au 18e siècle, la construction intellectuelle du spectateur, variant au gré des époques et des pensées philosophiques dominantes , mais qui demeure traversé par une même pensée humaniste. Spectateur universel et 3 rationnel, spectateur à cultiver et à éduquer, spectateur-public à dimension sociale et politique, spectateur à émanciper ou révolutionnaire, spectateur critique ou philosophe, spectateur-expérimentateur... Il est nourri, comme une conséquence, d'une certaine vision de l'homme et de son devenir. Le spectateur du théâtre dramatique est donc avant tout le lecteur d'une littérature surtout nationale et le théâtre est un espace simulant cette même communauté, redoublant aussi bien l'esprit du temps sur la scène que les différends dans la salle. En avril 2012 à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon, au Centre National des Ecritures du Spectacle, 1 HAYLES, N. Katherine, Hyper and Deep Attention: The Generational Divide in Cognitive Modes, 2007 .