Faut-il considérer, comme on l'admet aujourd'hui communément et de manière préjudicielle, qu'il y a entre démocratie et droits de l'homme une relation d'implication réciproque ? On est certes en droit de souhaiter que la démocratie assure le respect des droits de l'homme et sans doute en devoir d'oeuvrer à ce qu'il en soit ainsi ; mais, si l'on entend ne pas s'en tenir aux Wunschvorstellungen, il faut s'interroger sur la consistance d'une relation qui ne se vérifie pas nécessairement, ni sur le plan historique, ni sur le plan conceptuel. On peut citer, parmi bien d'autres, deux exemples des effets nocifs que produit une assimilation non critique de la démocratie au règne des droits de l'homme. Tout d'abord, la substitution fréquente, dans le discours politique contemporain, de la dichotomie démocratie/totalitarisme, fondée principalement sur le critère du respect des droits de l'homme, à la typologie traditionnelle des régimes, fondée sur l'analyse des mécanismes d'attribution et d'exercice du pouvoir, ainsi que sur celle des présuppositions anthropologiques propres à chacun d'entre eux. Or un tel usage extensif de la notion de démocratie entraîne, fort logiquement, une dilution de sa teneur de sens distincte. La démocratie tend à se restreindre au seul critère du respect des droits de l'homme, ce qui n'épuise certainement pas son concept, au moins en ses acceptions classiques ; quant au totalitarisme, il serait bien pauvre et insuffisant de le définir par le seul critère de la violation (même systématique) des droits de l'homme. Le second exemple est fourni par les thèses de F. Fukuyama sur la fin (démocratique ou libérale, les deux termes n'étant pas précisément distingués) de l'histoire et, plus largement, par le discours des chantres du one world, dont le succès constitue la fin, aux deux sens du terme, d'une période à tous égard exceptionnelle : celle de la mondialisation de la politique (consécutive à celle de l'économie, mais sans doute pas réductible à elle) et, corrélativement, de sa structuration bipolaire. Pour le dire autrement : maintenant que les stéréotypes datant de l'affrontement des blocs capitaliste et communiste ont perdu leur fonction de mobilisation, il importe sans doute de s'interroger sur les évidences emportées de part et d'autre par la nécessité du combat idéologique, au lieu de considérer que la victoire politique du premier suffit à établir la vérité de ses thèmes de combat.