La fabrication de l’espace aujourd’hui est une implosion, qui concentre et disperse en même temps. Le chantier est ce moment paradoxal de la fragmentation spatiale, temporelle, sociale, économique et sa concentration absolue. La pensée académique est mise en échec. Il faut essayer un autre mode de pensée, moins linéaire, plus modulaire, il faut déconstruire la pensée rationnelle et totalisante. Entrons plutôt dans le système en implosion. Pour ça, il faut bien en passer par une déconstruction préalable pour voir ce qu’il reste. Il ne s’agit pas de rechercher l’exhaustivité – le système n’a ni début ni fin – mais plutôt de mettre ma pensée à l’épreuve, de produire un processus singulier, autonome, subjectif. Le travail sur le territoire de Bordeaux Nord et sur le chantier de l’éco-quartier Ginko a été mené selon une méthode accumulative et discontinue. Face à un territoire archétype de l’espace urbain par son artificialité, face à un processus de fabrication séquencé, segmenté, morcelé dans le temps et dans l’espace, il faut adopter un mode de pensée a-centré, discursif, fragmentaire, mettre en place un système de réflexion en rhizome, selon la définition qu’en font Deleuze et Guattari : en prenant l’image du rhizome, il s’agit d’atteindre un certain degré d’hétérogénéité, de multiple et de mobilité de la pensée. Ce travail est donc construit sur une accumulation de fragments écrits qui sont traversés indistinctement par le relevé d’éléments physiques liés au territoire, à la matérialité du site ; par des notions historiques et des projections dans le discours sur la ville afin de situer la réflexion dans un cadre temporel extensif ; par des propositions dépassant le cadre analytique pour amener à projeter sur l’existant ; par des références diverses permettant de mettre en réseau la réflexion avec une pensée théorique sur la production de l’espace ; par des éléments d’ordre fictionnel, projetant la situation actuelle dans l’espace du possible afin de mettre en perspective la plasticité de l’espace et l’imbrication entre réel et virtuel. Ma vision du paysage se veut dynamique. Je le regarde comme un processus toujours en cours, inscrit dans l’espace et dans le temps. Je voudrais abolir la limite entre analyse et discours, entre espace physique et image, entre réalité et fiction. Le paysage est fait d’une matière qui est à la fois physique et fictionnelle. Elle est plastique, support au récit, support à la création. Le projet académique – et tant attendu – j’ai du le dispersé, non pas le considérer comme l’aboutissement, la conclusion, le point d’orgue d’un travail d’analyse rondement mené, mais l’inscrire au sein du processus de réflexion. Le projet émerge au milieu du cheminement, ça n’est pas une impasse mais une voie nouvelle qui s’ouvre, ça n’est pas une réponse mais une bifurcation potentielle. Ça n’est pas la promesse d’un avenir meilleur mais une fiction qui peut aussi bien réinventer le futur (comme l’on nous l’apprend à l’école) que le modifier en transfigurant le passé, en rétro-projetant.