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Timing et durée

Henri Bergson, Camille Riquier (éd.), Paris: Éditions du Cerf, 2012

Version finale dans Henri Bergson, Camille Riquier (dir.), París, Éditions du Cerf, 2012, 514 pp., ISBN 2204097608. À maintes reprises, l'Essai sur les données immédiates de la conscience semble nous dire que la donnée immédiate, c'est la durée. L'est-elle réellement ? La simple et fréquente qualification de celle-ci comme « pure » 1 devrait nous dissuader. Nous ne pensons pas ici aux médiations qu'il faut critiquer pour la saisir, telles que l'idée d'espace, le langage, la vie sociale, la science. De ce point de vue, Frédéric Worms a raison de dire que « l'immédiat ne s'atteint pas (…) sans la critique des médiations » 2 . Ce que nous nous interrogeons, c'est si une fois cette critique posée, la durée se donne immédiatement à la conscience. Dans ce cas, Bergson ne serait-il pas en train de reproduire ce qu'il reproche à l'histoire de la philosophie, à savoir le fait de spéculer sur le temps de façon « purement abstraite » 3 ? À y regarder de près, soit dans les premières apparitions de la notion de durée, soit à chaque fois que Bergson rappelle les acquis des travaux précédents, c'est-à-dire à chaque fois qu'il s'agit de présenter au lecteur la durée, de l'exhiber ou de la signaler, nous ne nous trouverons pas face à une donnée unique et élémentaire, mais face à deux ordres de choses, à deux séries de phénomènes qui, dans leur différence, font émerger la durée. Différence, tout d'abord, entre la conscience et les choses extérieures : « L'objet a beau rester le même, j'ai beau le regarder du même côté, sous le même angle, au même jour : la vision que j'ai n'en diffère pas moins de celle que je viens d'avoir, quand ce ne serait que parce qu'elle a vieilli d'un instant » 4 . C'est, en quelque sorte, parce que mon temps interne ne coïncide pas avec le temps extérieur des objets que je perçois le temps, que le temps se présente à ma conscience. En effet, si ces temps interne et externe étaient autres, mon expérience du temps serait complètement différente, telle le cactus dans le désert. Et si tout se déroulait 1 E, selon le même temps, il n'y aurait certainement aucune perception de celui-ci. Bergson nous le fait comprendre à partir d'une fiction : imaginez, nous dit-il, que tous les mouvements de l'univers s'accélèrent tout à coup dans la même proportion. « Le changement n'existerait que pour cette conscience capable de comparer l'écoulement des choses à celui de la vie intérieure. » 1 Ce passage ne saurait être plus clair : l'expérience du temps surgit d'une comparaison.