régine le jan 404 bien de valeur. Maurice Godelier a repris à Annette Weiner la théorie de l'inaliénabilité des biens en intégrant l'au-delà dans le circuit de l'échange, avec pour conséquence une complexification des réseaux d'échange dans les sociétés chrétiennes 3 : premièrement, Dieu devient un partenaire obligé de l'échange, ce qui conduit à des transferts massifs de richesses vers l'Église, puisque la dette des hommes ne pourra jamais annuler le sacrifice divin. Les saints et les morts qui sont la projection des hommes dans le monde de l'au-delà, de même que les pauvres, qui représentent le Christ, deviennent à leur tour des partenaires dans l'échange avec l'au-delà. En même temps, dans les sociétés traditionnelles, l'échange est un phénomène multiforme qui inclut aussi bien le don que l'échange marchand, qu'il soit monétaire ou non. Cependant, l'échange marchand crée entre les partenaires un lien neutre, tandis que le don crée un lien qui ne peut être neutre. C'est cette grammaire de l'échange que je tente d'appliquer à Raban Maur. Les auteurs carolingiens ont en effet une riche terminologie de l'échange, qui mériterait d'être étudiée pour elle-même. Ils font la différence entre la venditio/acquisitio, le concambium, les dona et les munera, l'oblatio, la traditio. Pour étudier le phénomène du don chez Raban Maur, je suis partie du terme munus/munera qu'il utilise fréquemment. Munus est issu de la racine indo-européenne *mei-« changer, échanger », qui apparaît dans des mots servant à désigner des échanges réglés par l'usage, dont plusieurs ont une valeur juridique 4. Dans la langue latine classique, munus désignait la charge d'un magistrat, les fonctions officielles et les devoirs liés à cette charge, accessoirement mais fréquemment le présent, le cadeau que l'on fait, par opposition à celui que l'on donne. Comme l'a montré Émile Benveniste, l'unité de sens de munus se trouve donc dans la notion de devoir rendu, de service accompli, elle se ramène à ce que Faustus définit comme un donum quod officii causa datur. Celui qui accepte un munuscharge contracte l'obligation de s'acquitter de sa dette à titre public par une distribution de faveurs ou de privilèges, ou de jeux, etc. Le mot enferme donc la double valeur de charge distinctive et de prestations compensatoires. À partir de ce sens initial, le mot a donné des dérivés, comme com-munis, com-munitas, qui désignent celui qui prend part aux munera, chaque membre du groupe étant astreint à rendre pour ce qu'il a reçu, il a donné aussi re-muneratio. Benveniste écrit que