Academia.eduAcademia.edu

Penser, aujourd'hui

1993, Lignes

Le choc intellectuel du post-communisme ne vient pas de ce que tel ou tel événement, ou telle ou telle série d' événements, ou même tout ce quis' est passé après la chute du Mur échapperaient à la saisie de la pensée ; il consiste en une impossibilité de penser tout court. Tout acte de la pensée semble voué à une alternative par elle-même anti-intellectualiste : soit il s'en tient à ses exigences immanentes, mais en ce cas il perd tout contact avec le « matériau à penser» et il échoue comme acte de pensée; soit il se tient au ras de ce «matériau», mais dans ce cas il retombe dans une trivialité et une stéréotypie dégradantes et, a fortiori, il échoue comme acte de pensée. Il semble que l'histoire, au moment même où elle se produisait, se refusait à la pensée. C'est comme si l'écroulement d'un projet, hégélien par tant de ses prémisses 1 , était marqué par le refus définitif de l'histoire de se dérouler« hégéliennement ». Pour quiconque avait pris part à la profonde transformation des années quatre-vingt, dont le changement politique ne fut qu'un des résultats et pas même 1 'un des plus importants, cette impossibilité de penser prit un caractère dramatique : comment un processus qui, pendant des décennies, sembla propulsé par sa dimension théorique immanente 2