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La férule et le galon

2008, Le Mouvement Social

Abstract

La férule et le galon. Réflexions sur l'autorité du premier degré en France des années 1830 à la guerre de 1914-1918 par Jean-François Chanet * C omme celle de la caserne et du lycée, la comparaison du maître d'école et du sous-officier était au xix e siècle dans l'ordre des choses. Elle risque aujourd'hui de paraître arbitraire ou incongrue. Des décennies d'éloignement des citoyens à l'égard de l'institution et des moeurs militaires et, dans le même temps, la transformation du statut et du métier d'instituteur l'ont rendue plus que surprenante, presque inconcevable. Les ressemblances imaginables, voire la complémentarité des deux fonctions caractérisent donc une période révolue de la construction nationale française et c'est à ce titre que nous voudrions les examiner ici 1. Cela suppose au moins trois précautions préalables. Comparer ne signifie pas oublier les spécificités irréductibles de chaque terme de la comparaison. Dans l'armée, l'exercice de l'autorité doit sa justification à l'éventualité d'une situation extrême, le combat et l'exposition à la mort, en quoi il se distingue essentiellement de ceux, quels qu'ils soient, qui se peuvent observer dans la vie civile. En outre, désigner ces deux groupes au singulier ne revient pas à les considérer comme des types immuables. Les deux mots « sous-officier » et « instituteur » ont en commun d'appartenir au lexique de la Révolution française. Comme le rappelle l'article « sous-officier » du Grand dictionnaire universel du xix e siècle de Pierre Larousse, « avant 1790, on disait un bas officier » et il a fallu attendre l'ordonnance du 5 juillet 1821 pour que les caporaux et les brigadiers fussent mentionnés à part des sergents 2. Encore cette délimitation, du grade de sergent à celui d'adjudant-chef, at -elle varié par la suite. L'article I er du projet de décret sur l'organisation de l'instruction publique voté par la Convention le 12 décembre 1792 précise bien, quant à lui, que « les personnes chargées de l'enseignement dans les classes primaires s'appelleront instituteurs », mais les noms plus anciens de « régent », « recteur » ou « maître d'école » resteront longtemps en usage 3. Le métier lui-même a tardé à se spécialiser et à s'autonomiser ; et quant à l'évolution de carrière, sous la iii e République encore, entre un adjoint débutant et un directeur d'école près de la retraite, il existe des écarts sensibles de revenu et de prestige. Préciser, enfin, ce qui a pu être jugé comparable, ce qui semble digne de comparaison, revient à considérer comme second le contenu positif des activités et à concentrer l'attention sur la position dans une hiérarchie, l'image sociale, un * Professeur d'histoire contemporaine à l'