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La littérature contre l’économie

2020, Essais

Jean-Paul Engélibert : Christian Laval, vous êtes sociologue, spécialiste de sociologie politique, auteur de nombreux livres ayant renouvelé la pensée du néolibéralisme, depuis ses sources lointaines à l'Âge classique-je pense notamment à L'Homme économique, publié en 2007-et vous avez aussi publié, avec le philosophe Pierre Dardot une série d'ouvrages, dont Commun, dans lequel vous cherchez des alternatives au capitalisme contemporain, autour d'une réflexion sur ce que peut être le « commun » aujourd'hui. Mais vous ne vous êtes jamais arrêté sur la littérature et les arts. N'y at -il pourtant pas une jonction possible entre l'histoire de l'économie politique que vous développez depuis longtemps et l'histoire de la littérature ? Christian Laval : Pour vous répondre, mon propos relèvera très certainement de la sociologie et de l'histoire de la littérature, bien que je n'en sois pas spécialiste, étant plutôt tourné vers la sociologie politique et la sociologie économique. Je m'aventure donc dans un domaine de moi mal connu, et je vous demanderai de faire preuve d'un peu de charité pour un non-spécialiste osant s'adresser à des spécialistes de la chose littéraire. Ma réponse tourne autour d'une proposition contenue dans le titre : La littérature se constitue contre l'économie. C'est une proposition qui d'emblée se distingue de certaines analyses relativement récentes, mais qui ont une longue tradition, et pour caractéristique de situer la littérature contre la modernité. Je vise notamment l'ouvrage d'Antoine Compagnon, Les antimodernes, de Joseph de Maistre à Roland Barthes. L'angle y est trop large, la définition de la modernité mal constituée. Je tiens ici, avec beaucoup d'autres commentateurs, car mon point de départ n'est guère original, que la littérature se constitue non pas contre la modernité « en général » mais principalement et d'abord, contre l'économie, j'entends par là contre le capitalisme en tant que système social, mode de subjectivité, représentation de l'homme et de la société qui trouve dans l'utilitarisme sa morale et sa philosophie la plus achevée. Ce qui fait de la littérature moderne, au moins dans ses discours absolutistes, une lutte pour se faire valoir