The Battle of Chile: image, poetry, memory

2011

L e cinéma, né avec le XX e siècle, n'a cessé d'en enregistrer les images, assurant le retour spectral et incessant de scènes qui, dès lors qu'elles nous sont montrées, appartiennent déjà au passé. Lieu du retour des fantômes, il est aussi mise en récit du passé, mode de représentation du réel, et ce qu'il montre ne peut qu'exercer une influence déterminante sur notre mémoire du XX e siècle. Au-delà de la thèse de Jean-Michel Frodon 1 , selon laquelle l'histoire du cinéma serait profondément liée à la crise éthique, historique et culturelle inscrite par la Shoah au coeur du siècle, on peut s'interroger sur la manière dont l'image filmique s'impose comme une médiation particulièrement propre à approcher les violences du monde contemporain. Le rôle joué par le cinéma dans la mémoire de la Shoah n'est pas étranger à ce phénomène. Le constant retour d'images qui, dans l'imaginaire collectif, sont à tort ou à raison liées à l'extermination des Juifs -telles que le bulldozer des troupes britanniques libérant le camp de Bergen-Belsen, le petit garçon du ghetto de Varsovie aux mains levées ou les chaussures entassées en piles énormes -a fini par instaurer une sorte de code visuel à partir duquel se tissent les nouvelles narrations filmiques. Les films d'aujourd'hui, même quand ils n'ont en apparence aucun rapport avec l'extermination des Juifs par les nazis, continuent à faire allusion à ces images comme à une référence commune, peut-être inconsciente, dans laquelle la violence de l'histoire se conjugue avec la nécessité de la mémoire 2 . Le cinéaste ne filme pourtant jamais que le présent, mais un présent en train de devenir passé, et s'il fait appel à la mémoire des représentations collectives, c'est que les images montrées ne sont bien souvent qu'une manière de suggérer ce qui reste invisible en elles. Art de la trace, le cinéma a pour fonction de conjurer la disparition du passé ou de prévenir celle du présent, et c'est en cela que, sous l'influence de l'empreinte (1) Jean-Michel Frodon (dir.), Le Cinéma et la Shoah. Un art à l'épreuve de la tragédie du 20 e siècle, Paris, Cahiers du cinéma, 2007.

Du paysage au territoire : Des imaginaires sociaux à la lutte des Mapuche dans le sud Chili (XIX-XXIe siècle). -Numéro 3 -Dossier Thématique -Image de la nation : art et nature au Chili -Date de mise en ligne : samedi 8 septembre 2012 Description : Paysage -Mapuche -Chili -Selva virgen Artelogie

Cahiers du GRM, 2019

This article offers an analysis of Patricio Guzman’s documentary titled “Nostalgy for the Light” in which I consider the desert of Atacama – the topological framework of the movie – as the psychic dispositive of the Chilian traumatic consciousness. The documentary, I suggest, unfolds various layers of the past stratified in the desertic space in a movement of anamnesis that starts with the most primordial past – the past preceding the genesis of the visible structures of our universe. In this context, I argue that the documentary can be fruitfully re-read in the light of Schelling's great cosmological enquiry, i.e the Ages of the World. Reading Schelling’s project against Hegel's Phenomenology of Spirit, the article argues that in the Hegelian Philosophy, the historical process can be understood in organic terms, i.e as a canalisation of originally chaotic libidinal flows. I then read the Hegelian Philosophy as a philosophy of maximal health, grounded by ongoing adjustments to the reality principle (effectivity). Despite local loss, the spiritual process can be seen as a logic of perpetual reinvestment of economical and libidinal flows. Schelling, on the other hand, grounds the current structures of visibility on the primordial past, a highly unstable entity, always able to destroy what is taken as the current reality principle. In this sense, the grief melancoly, as Freud has it, in its refusal to reinvest its libidinal fluxes, can be read in the light of Schelling's negation force, responsible for the genesis of the universe– i.e the creation according to the philosopher. The paper argues that Guzman’s late work, and the specific type of montage that goes with it, can be considered within this schellingian framework of creative melancholy. Cet article propose une lecture du documentaire du réalisateur chilien Patricio Guzman Nostalgie de la lumière dans lequel le désert d’Atacama, cadre topologique de l’œuvre, est envisagé comme le dispositif psychique de la conscience traumatique chilienne. Le documentaire déploie selon nous une anamnèse des différents passés stratifiés dans cet espace, qui – dans la mesure où elle commence avec le passé primordial, celui précédant la genèse des structures de notre univers – peut être lu à partir de la grande enquête cosmologique schellingienne que représente les Âges du monde. L'article met alors en miroir le projet schellingien avec la Phénoménologie de l’esprit. Il montre de quelle manière le mouvement dialectique à l’œuvre dans le processus historique peut être compris chez Hegel en termes organiques, c'est-à-dire comme une canalisation des flux libidinaux, perpétuellement réinvestis dans le devenir historique. La Phénoménologie de l’esprit, texte de la santé de l’esprit et du perpétuel ajustement au principe de réalité met en place une logique du réinvestissement de flux économiques et libidinaux. Schelling au contraire, en mettant la matière du passé primordial - une matière chaotique aux structures extremement instables - au fondement de tout processus d’apparition, y compris historique, fait de la déliaison au sens psychique et physique du terme le réservoir des structures visibles. La mélancolie du deuil, en refusant de réinvestir ses flux libidinaux pour ne pas abandonner ses morts, entretient des rapports étroits avec la force de négation des structures existantes schellingienne, également force de création. L’œuvre tardive de Guzman et son montage en écho s’inscrivent dans ce type de négation mélancolique productive.

Mémoires en jeu, 2020

Very little is known about the mass murders committed in the 1980s in Guatemala against the Maya people; even worse, the main perpetrators, including Efraín Ríos Montt, have escaped justice. Some sequences of these massacres, clearly characterised by the intention of exterminating some parts of the population, seem to be part of a genocidal practice, as shown by the works and performances of artists who keep the massacres memory alive.

The Ethics Forum/Les ateliers de l'éthique, 2019

Le Chili et la Colombie ont vécu des processus de sortie de violence bien différents : au Chili, sortie négociée par les élites d’une dictature marquée par la terreur d’État contre une population revendiquant la démocratie; en Colombie, sortie graduelle d’un conflit armé aux multiples acteurs et paix fragmentée dans l’une des démocraties les plus stables, sur le plan formel, d’Amérique latine. Un trait commun émerge pourtant dans les processus de construction de mémoire de ces deux pays : la présence de mouvements mobilisés autour de la mémoire – notamment des groupes d’étudiants, d’afro-descendants, d’autochtones et de paysans, de femmes, c’est-à-dire que ces mouvements dépassent le cercle des victimes directes. Ces mobilisations « populaires » pour la mémoire semblent se situer ailleurs que sur le plan institutionnel puisque les deux pays présentent des contextes presque opposés, le Chili ayant adopté des politiques renforçant l’amnistie pour les crimes passés et de timides mesures commémoratives 20 ans après la fin de la dictature, tandis que la Colombie, en plein coeur du conflit, a plutôt adopté de nombreuses lois permettant une présence officielle de la mémoire, notamment par la création du Centre national de la mémoire historique. Dans une perspective de politique comparée, ces contextes institutionnels si distincts posent la question des causes communes des fortes mobilisations pour la mémoire issues « d’en bas » : des entretiens de participants des deux pays montrent que ces mouvements portent un rôle politique de la mémoire et un imaginaire de la souffrance partagée face aux violences d’État, situant les violations passées des droits humains dans un continuum avec la violence structurelle et coloniale criminalisant encore les mouvements sociaux en démocratie.

Cahiers des amériques latines, 2000

Nuevo Mundo-Mundos Nuevos, 2024

Cet article examine les enjeux mémoriels et politiques liés à la commémoration de la bataille d’Ayacucho (1824), en mettant l’accent sur son importance en tant que symbole républicain et lieu de mémoire, tant au niveau national que transnational. À travers trois moments clés – la célébration immédiate, le centenaire et le cent-cinquantenaire – il illustre comment la mémoire de cet événement a été réinterprétée dans les récits nationaux de la Colombie et du Pérou, en fonction des contextes politiques et diplomatiques. L’article souligne également la manière dont les questions mémorielles se sont imbriquées avec les tensions internationales, notamment lors des conflits frontaliers qui ont marqué les XIXe et XXe siècles.