2008, Fragments d'histoire du Compagnonnage, volume 11
Si de nombreux Compagnons du milieu du XIXe siècle croyaient encore à la lettre, comme à des « histoires vraies », aux récits traditionnels concernant les trois fondateurs des familles compagnonniques françaises — Maître Jacques, le Père Soubise et Salomon —, l’on peut supposer qu’aujourd’hui, tous savent bien qu’il ne s’agit en réalité que de légendes. Mais comme tout le monde en général, ils inclinent également à penser qu’« il n’y a pas de fumée sans feu » et que, de ce fait, ces légendes n’en possèdent pas moins une possible valeur historique, plus ou moins grande, qui serait dissimulée par les oublis et les déformations dûs à leur transmission orale au fil des siècles. Au gré de ses propres connaissances et préoccupations, chacun de nous tend ensuite à isoler et à valoriser tel ou tel aspect des légendes qui lui semble le plus « vrai », avec de fréquentes confusions entre ce qui relève strictement du domaine de l’histoire et ce qui relève plutôt de l’imaginaire ou des spéculations symboliques. Et certaines de ces interprétations individuelles quant au problème de l’historicité des légendes et de l’identité réelle des fondateurs des corps du Devoir, selon leur publicité et l’autorité dont jouissent leurs auteurs auprès des Compagnons, viendront à leur tour enrichir et tout à la fois pervertir un peu plus le contenu des récits transmis de génération en génération… À l’heure actuelle, l’on peut constater chez les spécialistes une tendance à évacuer cette problématique de l’identité historique des fondateurs des compagnonnages, problématique dont on reconnaîtrait de la sorte la quasi-impossibilité à être solutionnée et, accessoirement, le danger des dérives pseudo ésotériques auxquelles elle aboutit trop souvent. Ainsi, François Icher préfère-t-il simplement voir dans le Père Soubise comme un symbole de l’influence exercée par les ordres monastiques, notamment les Bénédictins, sur le renouveau de l’architecture à l’époque romane (grâce à l’enseignement du Trait), tandis que maître Jacques symboliserait pour sa part l’importance des chantiers des cathédrales dans le processus de formation des compagnonnages. C’est là un point de vue sur lequel tout le monde peut être d’accord… mais qui finalement, ne satisfait personne !