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Le désir de dire

1994, Philosophiques

Il n'est guère de jugement littéraire qui ne s'exprime sur fond d'absolu. Nous jugeons de la qualité d'une oeuvre sur la capacité qu'elle nous paraît avoir de traverser les siècles. C'est même l'argument ultime auquel nous recourons pour imposer notre avis, par un réflexe identique à celui que nous avions sur les cours du lycée et qui pouvait nous conduirejusqu'a échanger des coups. Il présente l'avantage de clore toute discussion et permet d'être péremptoire sans ridicule puisqu'il ne saurait être question pour le futur de venir à l'avance nous contredire. Corrélativement, il n'est pas sans reposer sur la conviction sousjacente de notre propre éternité dans la mesure où il suppose que nous aurons toujours la possibilité de le vérifier : c'est prendre le point de vue des anges, nous transporter dans l'au-delà, être assuré de cette part immortelle en nous qui seule peut disposer d'une aussi confondante prescience. Nombre d'auteurs eux-mêmes ne se placent pas dans une autre perspective. La concentration exigée par la création littéraire demande un retrait ou conduit à un état second qui ressortissent peut-être, en effet, à l'audelà, ce qui a pu pousser Genet à prétendre qu'il écrivait pour les morts, mais il * NDLR-. Romancier et essayiste, Patrick Drevet jeune auteur dans la quarantaine, a déjà publié plus d'une dizaine d'ouvrages aux Éditions Gallimard, puis chez Belfond. Parmi ses derniers livres parus, citons Le rire de Mandrin, Paris, Belfond, 1993 (Prix annuel des Libraires), Dieux obscurs, Paris, Belfond, 1994. Nous avons l'honneur de publier ici une réflexion inédite de Drevet sur son art, et, plus particulièrement, sur les rapports complexes entre l'écriture, l'expression et la littérature. Ce texte fait partie d'un ensemble de trois essais dans la même veine esthétique. On trouvera dans la prochaine livraison de Philosophiques (avril 1995) les deux autres textes, l'abondance des matières dans ce numéro nous ayant obligé à reporter leur parution.