Dossier sous la direction de Isabelle Berrebi-Hoffmann, Marie-Christine Bureau et Michel Lallement "De nouveaux mondes de production ? Pratiques makers, culture du libre et lieux du “commun”", 2015
Depuis près de vingt ans l’informatique personnelle s’est largement répandue dans nos sociétés co... more Depuis près de vingt ans l’informatique personnelle s’est largement répandue dans nos sociétés contemporaines, et a transformé nos activités quotidiennes. Devenue désormais un véritable moteur de l’économie mondiale, l’industrie du logiciel cristallise des enjeux financiers très importants. Le modèle de développement qui va s’imposer avec le temps dans ce secteur repose sur la “fermeture” des programmes informatiques qu’il n’est dès lors plus possible de modifier ou de partager. Concomitamment à la diffusion d’une informatique personnelle, une “communauté du logiciel libre” se constitue à travers le monde. Composée de bénévoles et de professionnels, elle vise à élaborer des suites logicielles accessibles à tous. La popularisation des technologies numériques a progressivement transformé le regard porté sur ses techniciens. Pourtant, malgré l’apparition d’une abondante littérature sur la “culture” hacker, ces individus derrière les “boites noires numériques” restent largement invisibles. Qui sont les libristes ? Que font-ils lorsqu’ils font du Libre ?
L’objectif de cet article consiste à réinscrire l’occupation des hackers, libristes, et autres passionnés d’informatique de la “communauté du Libre” dans des processus sociaux classiques. La restitution des parcours de vie devra nous permettre de réduire l’“étrangeté” souvent accolée initialement au phénomène hacker.
Cet article s’appuie sur une enquête ethnographique conduite dans le cadre d’un doctorat mené sur la “communauté du logiciel libre” sous le prisme de son institutionnalisation. En suivant le fil d’un engagement ordinaire, nous avons fait la connaissance de membres très investis. Grâce à eux, nous avons découvert de multiples lieux où s’expose cette “communauté”. En procédant de cette manière, l’un de nos objectifs était de multiplier les entrevues avec les enquêtés afin de collecter des points de vue contrastés. Nous avons ainsi réalisé plus de cinquante entretiens formels et de très nombreuses observations. Ce travail de terrain nous a permis de typifier trois populations aux enjeux spécifiques qui sont autant d’investissements dans le “Libre” : les étudiants en informatique, les professionnels, et les amateurs passionnés.
C’est au travers de la notion d’institution que nous avons travaillé ces restitutions. En effet, elle permet notamment de penser une cohérence générale au-delà de l’hétérogénéité de ses membres habituellement mise en avant. Nous proposons ainsi d’examiner la manière dont les personnes que nous avons rencontrées font du “libre” et font le “Libre” à travers la façon dont elles s’y inscrivent. Il s’agira donc d’aborder le processus d’institutionnalisation sous l’angle des agents qui y sont exposés pour montrer comment ils renouvellent le “Libre” et participent à sa définition. Enfin, en détaillant quelques-unes des trajectoires recueillies, il s’agit de donner à voir des mécanismes d’attachement institutionnel plus généraux dans leurs conditions tout à la fois sociales et singulières de réalisation.
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Papers by Gael Depoorter
L’objectif de cet article consiste à réinscrire l’occupation des hackers, libristes, et autres passionnés d’informatique de la “communauté du Libre” dans des processus sociaux classiques. La restitution des parcours de vie devra nous permettre de réduire l’“étrangeté” souvent accolée initialement au phénomène hacker.
Cet article s’appuie sur une enquête ethnographique conduite dans le cadre d’un doctorat mené sur la “communauté du logiciel libre” sous le prisme de son institutionnalisation. En suivant le fil d’un engagement ordinaire, nous avons fait la connaissance de membres très investis. Grâce à eux, nous avons découvert de multiples lieux où s’expose cette “communauté”. En procédant de cette manière, l’un de nos objectifs était de multiplier les entrevues avec les enquêtés afin de collecter des points de vue contrastés. Nous avons ainsi réalisé plus de cinquante entretiens formels et de très nombreuses observations. Ce travail de terrain nous a permis de typifier trois populations aux enjeux spécifiques qui sont autant d’investissements dans le “Libre” : les étudiants en informatique, les professionnels, et les amateurs passionnés.
C’est au travers de la notion d’institution que nous avons travaillé ces restitutions. En effet, elle permet notamment de penser une cohérence générale au-delà de l’hétérogénéité de ses membres habituellement mise en avant. Nous proposons ainsi d’examiner la manière dont les personnes que nous avons rencontrées font du “libre” et font le “Libre” à travers la façon dont elles s’y inscrivent. Il s’agira donc d’aborder le processus d’institutionnalisation sous l’angle des agents qui y sont exposés pour montrer comment ils renouvellent le “Libre” et participent à sa définition. Enfin, en détaillant quelques-unes des trajectoires recueillies, il s’agit de donner à voir des mécanismes d’attachement institutionnel plus généraux dans leurs conditions tout à la fois sociales et singulières de réalisation.
Talks by Gael Depoorter
Quels sont les processus qui ont contribué à cette transfiguration ? Paradoxalement, cette survalorisation (du « hacker ») ne continue-t-elle pas de jeter dans l’ombre un large pan des pratiques ordinaires du travail informatique ? Comment décrire et rendre compte de ces activités informatiques ?
J’avancerai deux idées pour y répondre : celle du territoire et celle de la conception de l’individu, qui nous permettront d’avancer quelques critiques vis-à-vis du concept de multitude.
Internet en général semble être le terrain inespéré des approches d’une sociologie « de la toujours dernière modernité » (Lavau, 1989) cherchant en tout lieu à débusquer de la nouveauté, de la mutation, de la transformation. Jusqu’alors plutôt postulé, rarement démontré, mais toujours espéré ou attendu l’« homme nouveau », libéré de toutes ses contraintes sociales (et au premier rang desquels figure l’Etat), véritable artiste en devenir, ou intellectuel en puissance (et inversement) aurait enfin trouvé un espace de réalisation.
De l’informatique centralisée, fortement stigmatisée comme outils de contrôle social, cette technologie a été retraduite en véritable maïeutique d’un individu sensible, émancipé, bref, post-moderne.
L’objectif de cet article consiste à réinscrire l’occupation des hackers, libristes, et autres passionnés d’informatique de la “communauté du Libre” dans des processus sociaux classiques. La restitution des parcours de vie devra nous permettre de réduire l’“étrangeté” souvent accolée initialement au phénomène hacker.
Cet article s’appuie sur une enquête ethnographique conduite dans le cadre d’un doctorat mené sur la “communauté du logiciel libre” sous le prisme de son institutionnalisation. En suivant le fil d’un engagement ordinaire, nous avons fait la connaissance de membres très investis. Grâce à eux, nous avons découvert de multiples lieux où s’expose cette “communauté”. En procédant de cette manière, l’un de nos objectifs était de multiplier les entrevues avec les enquêtés afin de collecter des points de vue contrastés. Nous avons ainsi réalisé plus de cinquante entretiens formels et de très nombreuses observations. Ce travail de terrain nous a permis de typifier trois populations aux enjeux spécifiques qui sont autant d’investissements dans le “Libre” : les étudiants en informatique, les professionnels, et les amateurs passionnés.
C’est au travers de la notion d’institution que nous avons travaillé ces restitutions. En effet, elle permet notamment de penser une cohérence générale au-delà de l’hétérogénéité de ses membres habituellement mise en avant. Nous proposons ainsi d’examiner la manière dont les personnes que nous avons rencontrées font du “libre” et font le “Libre” à travers la façon dont elles s’y inscrivent. Il s’agira donc d’aborder le processus d’institutionnalisation sous l’angle des agents qui y sont exposés pour montrer comment ils renouvellent le “Libre” et participent à sa définition. Enfin, en détaillant quelques-unes des trajectoires recueillies, il s’agit de donner à voir des mécanismes d’attachement institutionnel plus généraux dans leurs conditions tout à la fois sociales et singulières de réalisation.
Quels sont les processus qui ont contribué à cette transfiguration ? Paradoxalement, cette survalorisation (du « hacker ») ne continue-t-elle pas de jeter dans l’ombre un large pan des pratiques ordinaires du travail informatique ? Comment décrire et rendre compte de ces activités informatiques ?
J’avancerai deux idées pour y répondre : celle du territoire et celle de la conception de l’individu, qui nous permettront d’avancer quelques critiques vis-à-vis du concept de multitude.
Internet en général semble être le terrain inespéré des approches d’une sociologie « de la toujours dernière modernité » (Lavau, 1989) cherchant en tout lieu à débusquer de la nouveauté, de la mutation, de la transformation. Jusqu’alors plutôt postulé, rarement démontré, mais toujours espéré ou attendu l’« homme nouveau », libéré de toutes ses contraintes sociales (et au premier rang desquels figure l’Etat), véritable artiste en devenir, ou intellectuel en puissance (et inversement) aurait enfin trouvé un espace de réalisation.
De l’informatique centralisée, fortement stigmatisée comme outils de contrôle social, cette technologie a été retraduite en véritable maïeutique d’un individu sensible, émancipé, bref, post-moderne.