Papers by Lucas Le Texier
HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of scientific r... more HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of scientific research documents, whether they are published or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Jazz ou musique de bastringue ? Expertise puriste et radiomorphose du jazz – (1932-1949) Lucas Le Texier
Circulations musicales transatlantiques, 2021
Le free-jazz américain et les pratiques collectives pour le produire dans le contexte états-unien... more Le free-jazz américain et les pratiques collectives pour le produire dans le contexte états-unien ont laissé place à de nouvelles modalités de réception en Europe. Ce chapitre retrace la réception et les appropriations originales du style en France, Angleterre et Allemagne de l'Ouest, plus particulièrement ses liens avec les sensibilités d'(extrême-)gauche, la contre-culture et la pop music. Le free jazz reste un poste d'observation intéressant pour remarquer les porosités entre les genres musicaux que la classification a posteriori a tendance à exacerber.

Transversales, 2021
La politique culturelle américaine à l’étranger resta largement jusqu’à l’Après-guerre le fruit ... more La politique culturelle américaine à l’étranger resta largement jusqu’à l’Après-guerre le fruit d’initiatives privées. À la suite de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis la développent intensément en Allemagne, dans l’optique de « modifier la société dans un sens démocratique » (Yves-Henri Nouailhat, « La politique culturelle des États-Unis en France », Relations internationales, printemps 1981, n° 25, p. 93) : l’action culturelle est alors conçue comme un instrument de politique étrangère. Pour la France, il faudra attendre 1947 et surtout 1948, soit le début de la Guerre froide, pour que le gouvernement américain investisse pleinement ce champ d’action afin de garder la France dans le camp occidental et de contrer l’influent Parti communiste français. Persuadés de la méconnaissance française sur leur pays, les États-Unis mettent au point un dispositif d’échanges et de diffusion d’informations à leur propos.
Simon Copans (1912-2000) – dit « Sim » Copans – a joué un rôle crucial dans l’exposition et la découverte de l’Amérique grâce à son travail d’homme de radio sur les ondes françaises. Professeur à l’Université de Colombia à la suite d’une thèse menée en France sur les relations franco-américaines, il décida de s’engager lors de la Seconde guerre mondiale en tant qu’opérateur radio dans l’Office of War Information (OWI, l’agence gouvernementale des États-Unis qui opérait par les médias pendant la Seconde Guerre mondiale). À la fin de la guerre, Simon Copans décida de rester en France, et occupa un poste dans la politique culturelle des États-Unis menée dans le pays – politique relevant non plus de la branche militaire de l’OWI mais de la branche civile de l’United States Information Service (USIS) sous le contrôle du Département d’État. Cette activité le conduisit à intervenir sur les ondes françaises, en tant que simple collaborateur mais aussi producteur d’émissions radiophoniques.
Simon Copans va alors s’atteler à exposer l’Amérique et le triptyque qui nous intéresse ici : les corps, les lieux et les appartenances. Grâce à la diffusion de la musique américaine, ponctuant une narration radiophonique qui apporte des éléments sur la culture, les communautés et la géographie des États-Unis, les interventions de Copans nourrissent la curiosité des français pour les États-Unis et répondent aux ambitions du gouvernement américain qui cherche (non sans intérêt donc) à faire connaître leur pays en France. La musique et le son participent à dépeindre une Amérique vaste et diverse : des bruits des grandes métropoles à la Nouvelle-Orléans en passant par les Great Smoky Mountains ; du folklore des fêtes religieuses américaines à celui des marins ou des indiens ; des chansons qui dépeignent les corps des travailleurs, les danses cow-boys ou l’entertainment de Broadway, etc. Si le contenu des discours et les manières de présenter les extraits sonores nous intéresseront particulièrement, les propriétés du discours radiophonique de Sim Copans, qui convie l’auditeur à un véritable voyage en faisant référence à des éléments corporels, devront également être étudiées.
Grâce aux documents et textes d’émissions radiophoniques fournis par le fonds Sim Copans à Souillac, ainsi qu’aux retranscriptions des émissions radiophoniques disponibles dans les archives de l’Institut national de l’audiovisuel, cette communication cherchera à montrer le rôle de Sim Copans, les enjeux et les opérations de l’exposition radiophonique de l’Amérique par les trois notions qui nous intéressent.

Epistrophy, 2020
Cet article se propose d’étudier la carrière de Didier Lockwood afin de montrer la plasticité que... more Cet article se propose d’étudier la carrière de Didier Lockwood afin de montrer la plasticité que les musiciens de jazz peuvent acquérir dans leur pratique. D’une part, le parcours du violoniste témoigne d’un véritable éclectisme, nourri de multiples influences au fil des collaborations et projets auxquels il a participé. D’autre part, il incarne la perpétuation d’une « école française du violon jazz » et une figure d’héritier de Stéphane Grappelli, en France comme à l’étranger.
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This article tackles the issue of the career of the French violin player Didier Lockwood to illustrate the plasticity that jazz musicians can acquire in their own practice. On the one hand, the career of Lockwood is a real example of eclectic taste in music, fed by many influences considering his participations into multiple projects. On the other hand, he embodies the perpetuation of a “French jazz violin school” and so, one of the heirs of Stéphane Grappelli, in France and abroad.
Epistrophy, 2020
Discographie de Didier Lockwood parue dans le numéro 5 de la revue Epistrophy, la revue de jazz.

Bien que la France ne fût pas le pays où l’histoire du jazz se fit, elle fût certainement l’endro... more Bien que la France ne fût pas le pays où l’histoire du jazz se fit, elle fût certainement l’endroit qui l’écrivit en premier (Chris Goddard, Jazz Away from Home, New York, Paddington Press, 1979, p.139). Mais au lendemain de la Grande Guerre, le mot renvoie non pas à un style aux contours esthétiques bien définis, mais davantage à une réalité polymorphe, composée d’«un mélange de variété américaine, de “musique traditionnelle”, de ragtime instrumental, de jazz symphonique, de musique de danse [et] de gags vocaux, et de ce que les musiciens français des années 30 appelleront du jazz “pur nègre”» (Philippe Gumplowicz, «Au Hot Club de France, on ne faisait pas danser les filles» dans Philippe Gumplowicz, Jean-Pierre Klein [dir.], Paris, 1944-1954 : artistes, intellectuels, publics, la culture comme enjeu, Paris, Autrement, 1995, p.169), une métaphore de la modernité musicale aux accents syncopés dans l’Entre-deux-guerres (Pascal Ory, «3. Notes sur l'acclimatation du jazz en France», Vibrations, revue d'études des musiques populaires, n°1, avril 1985, p.99). Le Hot Club de France (HCF), une association d’amateurs-puristes, se constitue en 1932 avec pour but de défendre leur conception de cette musique : grâce au développement d’un dispositif complet et complexe, ils disqualifient une partie du réservoir musical qui constituait le jazz à l’époque pour ne valoriser que celui considéré comme «authentique», tentant de contrôler l’étiquette «jazz» et ses appositions. L’expertise de ces amateurs-puristes, relativement stabilisée à la fin des années trente, se retrouve contestée par l’émergence du dispositif radiophonique d’État à la Libération. Alors que les puristes cherchaient à l’identifier comme un art, la radio d’État redonne au jazz des évocations éclectiques. L’instabilité des acteurs et des programmes – auxquels le HCF participe –, la création de nouvelles émissions, l’incorporation de néo-producteurs, l’insertion du jazz dans des playlists musicales variées ou dans des spectacles de music-halls et télé-crochets radiophoniques font coexister de multiples représentations du jazz qui remettent en cause l’expertise du HCF. La comparaison entre le dispositif du HCF et le dispositif radiophonique «ordinaire» (Emmanuel Pedler, Jacques Cheyronnaud [dir.], Théories ordinaires, Paris, EHESS, coll. «Logiques Sociales», 2013, p.24), et les tensions nées entre l’appréciation puriste du jazz et sa radiomorphose, permettront de mettre en relief, par la coexistence de plusieurs régimes théoriques, la polymorphie de la musique de jazz et la (dé)construction de l’expertise du HCF des années trente jusqu’à la fin des années quarante.
Culture, médias, pouvoirs : États-Unis et Europe occidentale 1945-1991, 2019
L’étude du rapport entre un mouvement politique et un mouvement culturel doit s’opérer prudemment... more L’étude du rapport entre un mouvement politique et un mouvement culturel doit s’opérer prudemment mais les échanges remarqués entre ces deux pôles sont toujours fructueux pour la réflexion de l’historien. S’intéresser aux correspondances entre le Black Power et le free jazz permet de mieux saisir l’état de la société états-unienne dans les années soixante et comprendre sa perception par l’Europe de l’Ouest.
C'est ce que propose ce texte, doté d'une petite notice et d'un dossier documentaire.

Marges, 2018
Cet article s’attache à montrer au sein des deux grandes revues françaises spécialisées de jazz... more Cet article s’attache à montrer au sein des deux grandes revues françaises spécialisées de jazz – Jazz Hot et Jazz Magazine – les enjeux liés à leur découverte du free jazz joué par les musiciens afro-américains entre 1959 et 1965 : d’une part, les interprètes s’en revendiquent pour s’émanciper d’une étiquette « jazz » jugée trop rigide et connotée ; de l’autre, il est l’objet d’une nouvelle théâtralisation d’un conflit esthétique, légitimant une nouvelle génération de critiques qui politise le commentaire esthétique.
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Parisian Jazz Critique and Free Jazz Legitimization: A New Politicisation of Aesthetic Reviews (1959-1965)
This article tackles the issue of the discovery of free jazz by African American musicians between 1959 and 1965 in two major jazz-specialized French periodicals – Jazz Hot and Jazz Magazine. On the one hand, it deals with the fact that such musicians tend to claim their affiliations to free jazz, thus emancipating from a “jazz label” that would seem too rigid and connoted ; on the other hand, free jazz is also subject to a new dramatization of an aesthetic conflict, that would legitimatise a new generation of critics that politicizes aesthetic reviews.

Cette étude réalisée en deuxième année de master d'histoire contemporaine s'attache à démontrer c... more Cette étude réalisée en deuxième année de master d'histoire contemporaine s'attache à démontrer comment le free jazz à Dijon transforma les pratiques des amateurs, musiciens et acteurs du réseau jazzistique dijonnais. La new thing facilita l'arrivée d'une nouvelle génération d'amateurs de jazz par la distillation de ses ingrédients musicaux au sein des groupes de rock progressif ou du jazz-rock lors du mélange musical généralisé des années soixante-dix et quatre-vingt. Il s'attache à mettre en lumière les dispositifs et les moyens d'accéder à son écoute, et comment ceux-ci tendent à la différencier de l'écoute des anciens amateurs. Il se concentre à retracer la pré-structuration des organismes qui produisent le free jazz - festival, association - dans une démarche militante et passionnée. Il montre comment les amateurs prennent en charge le discours jazzistique par les supports qu'ils maîtrisent, de l'édification autonome de leur culture jazzistique à la restitution de la musique par la photo ou l'écriture d'un compte-rendu. Enfin, ce travail illustre comment le free jazz préfigure l'accès à la patrimonialisation du jazz et aux premières mesures des pouvoirs publics qui dessinent le schéma hexagonal du jazz d'aujourd'hui.

Ce mémoire effectué en première année de recherche en Histoire Contemporaine tente de cerner la r... more Ce mémoire effectué en première année de recherche en Histoire Contemporaine tente de cerner la réception et les instruments de légitimation du free jazz dans l'hexagone. Cette étude s'articule autour des transformations des champs d'esthésie et esthétique de la musique jazz par l'arrivée de la "New Thing".
La décortication des nouveaux effets promus par la génération de freejazzmen et l'étude de l'autodétermination esthétique via les propos des interprètes nous permettent de cerner le polymorphisme de la freemusic.
Nous nous proposons de composer une histoire de la réception d'un premier free jazz sous le regard de la critique parisienne, en étudiant la rémanence d'une querelle entre progressistes et modernistes, en cernant comment le free permet à une nouvelle critique de remplacer ses aînés et en quoi cette dernière propose de nouveaux modèles d'appréciations pour apprécier le free. De l'adaptabilité des normes musicales à la légitimation politique du jazz, ce mémoire montre l'évolution et les transformations profondes des registres d'écriture et des sensibilités des critiques spécialisés.
Conference Presentations by Lucas Le Texier

La politique culturelle américaine à l’étranger resta largement jusqu’à l’après-guerre le fruit d... more La politique culturelle américaine à l’étranger resta largement jusqu’à l’après-guerre le fruit d’initiatives privées. À la suite de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis la développent intensément en Allemagne, dans l’optique de « modifier la société dans un sens démocratique » : l’action culturelle est alors conçue comme un instrument de politique étrangère. Pour la France, il faudra attendre 1947 et surtout 1948, soit le début de la Guerre froide, pour que le gouvernement américain investisse pleinement ce champ d’action afin de garder la France dans le camp occidental et de contrer l’influent Parti communiste français. Persuadés de la méconnaissance française sur leur pays, les États-Unis mettent au point un dispositif d’échanges et de diffusion d’informations à leur propos.
Simon Copans (1912-2000) – dit « Sim » Copans – a joué un rôle crucial dans l’exposition et la découverte de l’Amérique grâce à son travail d’homme de radio sur les ondes françaises. Professeur à l’Université de Columbia à la suite d’une thèse menée en France sur les relations franco-américaines, il décida de s’engager lors de la Seconde guerre mondiale en tant qu’opérateur radio dans l’Office of War Information (OWI, l’agence gouvernementale des États-Unis qui opérait par les médias pendant la Seconde Guerre mondiale). À la fin de la guerre, Simon Copans décida de rester en France, et occupa un poste dans la politique culturelle des États-Unis menée dans le pays – politique relevant non plus de la branche militaire de l’O.W.I. mais de la branche civile de l’United States Information Service (USIS) sous le contrôle du Département d’État. Cette activité le conduisit à intervenir sur les ondes françaises, en tant que simple collaborateur mais aussi producteur d’émissions radiophoniques.
Simon Copans va alors s’atteler à exposer l’Amérique et le triptyque qui nous intéresse ici : les corps, les lieux et les appartenances. Grâce à la diffusion de la musique américaine, ponctuant une narration radiophonique qui apporte des éléments sur la culture, les communautés et la géographie des États-Unis, les interventions de Copans nourrissent la curiosité des français pour les États-Unis et répondent aux ambitions du gouvernement américain qui cherche (non sans intérêt donc) à faire connaître leur pays en France. La musique et le son participent à dépeindre une Amérique vaste et diverse : des bruits des grandes métropoles à la Nouvelle-Orléans en passant par les Great Smoky Mountains ; du folklore des fêtes religieuses américaines à celui des marins ou des indiens ; des chansons qui dépeignent les corps des travailleurs, les danses cow-boys ou l’entertainment de Broadway etc. Si le contenu des discours et les manières de présenter les extraits sonores nous intéresseront particulièrement, les propriétés du discours radiophonique de Sim Copans, qui convie l’auditeur à un véritable voyage en faisant référence à des éléments corporels, devront également être étudiées.
Grâce aux documents et textes d’émissions radiophoniques fournis par le fonds Sim Copans à Souillac, ainsi qu’aux retranscriptions des émissions radiophoniques disponibles dans les archives de l’Institut national de l’audiovisuel, cette communication cherchera à montrer le rôle de Sim Copans, les enjeux et les opérations de l’exposition radiophonique de l’Amérique par les trois notions qui nous intéressent.

Le 03 avril 2019 // De 10:00 à 18:00 // Journée d'études : Didier Lockwood, le jazz dans tous ses... more Le 03 avril 2019 // De 10:00 à 18:00 // Journée d'études : Didier Lockwood, le jazz dans tous ses états // BÂTIMENT PREMIERS CYCLES - AMPHI B309, 1 rue Pierre Bérégovoy
91000 Évry-Courcouronnes
Nombreux ont été les musiciens de jazz à s’adonner à de multiples styles : les grands orchestres des années trente et quarante mélangeaient aisément jazz, tango, ou cha-cha-cha dans leurs prestations. Le jazz et les chanteurs dits de « variétés » se sont croisés de façon intense pendant les années quarante et cinquante. Il devient donc difficile d’évoquer ou de parler d’un style « jazz » lorsque des musiques ou des interprètes monopolisent de multiples influences. Sur ce point, la carrière de Didier Lockwood peut constituer un point de vue particulièrement pertinent pour évoquer la polymorphie du jazz et les dimensions éclectiques de ses acteurs.
Lockwood incarne d’abord la jeunesse des années soixante-dix : ses écoutes musicales prennent part dans le mélange musical généralisé de cette décennie, où les frontières entre les styles restent poreuses, et où les syncrétismes stylistiques entre rock et jazz donnent lieu à des musiques tout à fait originales. Entre Magma, Zao, le Didier Lockwood Group (Phoenix 90), et différentes formations enregistrées dans plusieurs prestations scéniques (Live in Montreux en 1990 par exemple), le violoniste démontre comment le jazz devient un pattern invoqué par les musiciens, et comment les pratiques jazzistiques se retrouvent de nouveau au contact d’un auditoire jeune qui l’avait délaissé pour le rock’n’roll à la fin des années cinquante. Lockwood manie aussi bien un jazz dit « traditionnel », en témoigne l’amitié et les différentes expériences qu’il entretiendra avec Stéphane Grappelli, ainsi que les disques en son hommage (Tribute To Stéphane Grappelli en 2000, For Stephane en 2008).
Mais Lockwood ne se limite pas au monde du jazz et à ses environs : il collabore avec des chanteurs comme Jacques Higelin, avec qui il effectue une tournée de plus d’un an ainsi qu’un enregistrement (« Et C’est Pour Ca Que La Terre Est Carrée » sur 1.2.3.4) ou encore avec des artistes comme Claude Nougaro, lorsqu’ils réinterprètent la composition de Lockwood « L’Irlandaise » sur Chansongs (1993). Il écrit également des œuvres symphoniques (Les Mouettes), et compose de la musique pour des films ou des dessins animés (Lune Froide de Patrick Bouchitey, La Reine Soleil de Philippe Leclerc par exemple).
Enfin, la figure de Didier Lockwood démontre aussi la multiplication des circulations transnationales dans le monde du jazz : il s’entoure fréquemment de musiciens de jazz étrangers, de son premier album New World (1979) patronné par le critique allemand Joachim-Ernst Berendt, jusqu’à Out Of The Blue (1985) ou encore Storyboard en (1995) ; il se produit aux côtés des figures les plus respectés du jazz comme Dave Brubeck en 1980. Il effectue également de nombreuses tournées à l’étranger avec ses groupes tout au long de sa carrière.
Ce parcours éclectique doit nous montrer deux choses : d’une part, il témoignera que le jazz recouvre une réalité musicale plus polymorphe, que l’on cernera en regardant plus particulièrement la porosité entre les styles plutôt qu’en insistant sur leurs différences – différences intensifiées par l’étiquetage stylistique intervenant a posteriori. D’autre part, il nous montrera une partie des transformations des modalités de travail et de circulation du jazzman, autour notamment de l’intensification des échanges musicaux à l’international, mais aussi entre les genres musicaux, perpétuant ainsi une certaine tradition d’anthropophagie culturelle que les jazzmen et cette musique ont toujours témoignés.

21 mars 2019, Université de Bourgogne, Dijon // Transversales : Journée d'études doctorales du Ce... more 21 mars 2019, Université de Bourgogne, Dijon // Transversales : Journée d'études doctorales du Centre Georges Chevrier (UMR 7366) - "Dispositifs et modalités de l’expertise".
Abstract :
Bien que la France ne fût pas le pays où l’histoire du jazz se fit, elle fût certainement l’endroit qui l’écrivit en premier (Goddard 1979, 139). Mais au lendemain de la Grande Guerre, le mot renvoie non pas à un style aux contours esthétiques bien définis, mais davantage à une réalité polymorphe, composée d’« un mélange de variété américaine, de “musique traditionnelle”, de ragtime instrumental, de jazz symphonique, de musique de danse [et] de gags vocaux, et de ce que les musiciens français des années 30 appelleront du jazz “pur nègre” » (Gumplowicz, 1995, 169), une métaphore de la modernité musicale aux accents syncopés dans l’entre-deux-guerres (Ory, 1985, p. 99).
Le Hot Club de France (HCF), une association d’amateurs-puristes, se constitue en 1932 avec pour but de défendre leur conception de cette musique : grâce au développement d’un dispositif complet et complexe, ils disqualifient une partie du réservoir musical qui constituait le jazz à l’époque pour ne valoriser que celui considéré comme « authentique », tentant de contrôler l’étiquette « jazz » et ses appositions. L’expertise de ces amateurs-puristes, relativement stabilisée à la fin des années trente, se retrouve contestée par l’émergence du dispositif radiophonique d’État à la Libération. Alors que les puristes cherchaient à l’identifier comme un art, la radio d’État redonne au jazz des évocations éclectiques. L’instabilité des acteurs et des programmes – auxquels le HCF participe –, la création de nouvelles émissions, l’incorporation de néo-producteurs, l’insertion du jazz dans des playlists musicales variées ou dans des spectacles de music-halls et télé-crochets radiophoniques font coexister de multiples représentations du jazz qui remettent en cause l’expertise du HCF.
La comparaison entre le dispositif du HCF et le dispositif radiophonique « ordinaire » (Pedler et Cheyronnaud, 2013, 24), et les tensions nées entre l’appréciation puriste du jazz et sa radiomorphose, permettront de mettre en relief, par la coexistence de plusieurs régimes théoriques, la polymorphie de la musique de jazz et la (dé)construction de l’expertise du HCF des années trente jusqu’à la fin des années quarante.
Références bibliographiques :
Chris Goddard, Jazz away from home, New-York, Paddington Press, 1979.
Philippe Gumplowicz, « Au Hot Club de France, on ne faisait pas danser les filles », dans Philippe Gumplowicz et Jean-Claude Klein [dir.], Paris, 1944-1954 : artistes, intellectuels, publics, la culture comme enjeu, édition Autrement, 1995, p. 167-182.
Pascal Ory, « 3. Notes sur l’acclimatation du jazz en France », Vibrations, revue d’études des musiques populaires, n° 1, avril 1985, p. 93-102.
Emmanuel Pedler et Jacques Cheyronnaud, « Penser les théories ordinaires », dans Emmanuel Pedler et Jacques Cheyronnaud [dir.], Théories ordinaires, Paris, EHESS, coll. « Enquête », 2013, p. 13-24.
Cette conférence souhaite interroger la réception du free jazz en France, au Royaume-Uni et en Al... more Cette conférence souhaite interroger la réception du free jazz en France, au Royaume-Uni et en Allemagne de l'Ouest. Polymorphe, il s'agira de montrer comment ce style s'infiltre et métamorphose le jazz en Europe de l’Ouest dans ses pratiques et au sein de ses représentations... Mais il faudra également pointer les modalités de sa participation dans l'ère du mélange musical généralisé, où jazz-rock, free jazz, improvisation libre et rock progressif se croisent et s'imbriquent pour former des ensembles musicaux tout à fait originaux dans les années soixante et soixante-dix. //
13 décembre 2018 – Université de Bourgogne - 4 boulevard Gabriel, bât. Droit, salle 202 - 14 h. - 17 h. //
Séminaire : Culture, médias, pouvoirs aux États-Unis et en Europe occidentale, 1945-1991. L’exemple de la musique américaine //
Organisateur : Philippe Poirrier (CGC UMR CNRS uB 7366)
Compte rendu du colloque"Musique, Pouvoirs, Politiques"
Centre Georges Chevrier, Collège doctoral... more Compte rendu du colloque"Musique, Pouvoirs, Politiques"
Centre Georges Chevrier, Collège doctoral franco-allemand en SHS Dijon-Mayence - Territoires Contemporains
Université de Bourgogne, Dijon, 23 octobre 2015
Compte rendu réalisé par Lucas Le Texier

L'arrivée de l'avant-garde américaine qui jouait de cette musique qu'on allait appeler free jazz,... more L'arrivée de l'avant-garde américaine qui jouait de cette musique qu'on allait appeler free jazz, free music ou encore new thing engendra une nouvelle querelle entre anciens et modernes dans le petit milieu de la critique de jazz parisienne - composé des revues Jazz Hot et Jazz Magazine. Il s'agissait pour les "progressistes" d'évoquer, en plus de l'aspect moderne du free jazz, sa dimension politique.
De la toute fin des années cinquante au milieu de la décennie soixante, la nouvelle proposition esthétique de l'avant-garde américaine apparaît sporadiquement en France. En premier lieu, les productions discographiques de musiciens tels que Cecil Taylor, Eric Dolphy ou Ornette Coleman apparaissent comme des ovnis pour les critiques parisiens : des curiosités pour les plus intrigués au "n'importe quoi sonore" pour les plus véhéments. Ce qui a été perçu comme nouveau prend également racine dans les musiques d'anciens du hard bop, tels que Charles Mingus, John Coltrane ou bien encore Max Roach. S'installe donc dans l'imaginaire des critiques un nouvel univers sonore légitimé par des figures reconnues du jazz et par des nouveaux musiciens.
Gérard Bremond, critique à Jazz Hot, est le premier qui cherche à apporter des éléments de lectures à cette musique au sein des revues parisiennes spécialisées . En étudiant la discographie récente de John Coltrane, Bremond analyse la sonorité vocale du musicien comme l'expression d'un "véritable cri de protestation, de révolte". Pour lui, le débit de notes extrêmement important sur les albums de la deuxième moitié des années cinquante et le jeu permanent de Coltrane dans le registre aigu de son instrument sont des façons pour le musicien d'émettre des cris de protestation en écho à sa souffrance et à sa condition sociale d'afro-américain aliénée par le racisme de la société états-unienne. La musique de Coltrane naît d'émotions non plus inscrites (uniquement) dans le carcan esthétique du langage jazz, mais également ancrées dans une colère personnelle que le saxophoniste extériorise.
Au fil des années soixante, le free jazz ne fut plus seulement analysé comme une colère, mais comme l'affirmation de revendications politiques et sociales. Les jeux de Max Roach et de la chanteuse Abbey Lincoln lors des performances scéniques de leur album Freedom Now Suit illustraient la révolte noire-américaine pour l'égalité civique et le chemin vers l'émancipation de la société américaine. Les différentes entretiens que Jazz Hot et Jazz Magazine menèrent avec les artistes, en laissant une large part aux rapports qu'entretenaient les musiciens avec la société américaine, incitaient les critiques à lier étroitement la musique d'avant-garde free et les revendications politiques : Max Roach et Charles Mingus dénonçaient l'étiquetage de "jazz" sur leur musique, tout juste commercial ; Archie Shepp associait la new thing à son combat contre "la guerre du Viêt-Nam, l'exploitation de [ses] frères" et en faisait directement le moyen d'expression de son identité politique.
La disqualification des anciens par les modernes était donc permise par le free comme symbole de modernité et de progrès musical, mais aussi par l'utilisation d'un nouveau langage de la part d'une nouvelle génération de critiques, formaliste et proche des réseaux d'extrême-gauche. Olivier Roueff relevait que la "thématisation d'un pur matériau esthétique irréductible à son façonnement par les artistes [attribue] au seul commentateur le pouvoir de lire le sens des œuvres et des innovations ". C'est par la politisation des éléments sonores que la nouvelle génération de critiques de jazz entreprend de trouver sa place dans les revues parisiennes spécialisées : elle élève les musiciens au rang de "maudits" en faisant d'eux des figures d'ermites musicaux purs et sages ; elle entreprend de rapporter chaque élément tiré du langage musical comme ayant un lien politique avec la protestation afro-américaine ; enfin, elle se (re)constitue comme un intermédiaire obligé entre l'auditeur et le musicien en décortiquant les messages et signaux sonores par des idées politiques.
Cette réception de plus en plus politisante conduit à mettre dans le même moule politique des artistes qui revendiquaient explicitement entretenir un autre rapport au monde avec leur musique, d'avantage spirituel que politique.
Cet article se propose de retracer le cheminement de la politisation des éléments sonores du free jazz afro-américain par les critiques parisiens dans la première moitié de la décennie soixante, tout en illustrant les limites et dérives de cette lecture.
Lucas Le Texier
Etudiant en Master 2 d'histoire contemporaine
Université de Bourgogne
On a l’habitude de dire que le jazz est arrivé en Europe et d’abord en France avec les troupes am... more On a l’habitude de dire que le jazz est arrivé en Europe et d’abord en France avec les troupes américaines de Pershing en 1917. C’est faux. On dansait le ragtime à Berlin avant la Grande Guerre. On enseignait le jazz au Conservatoire à Francfort dans les années 1920. Les criminels nazis n’ont pas réussi à éradiquer la mode du swing dans les dancings. La République fédérale a accueilli les plus grands jazzmen et a formé des musiciens majeurs, des critiques, des éditeurs de disques. Même l’Allemagne de l’Est a eu ses jazzmen, pas toujours bien vus par le régime. Une rétrospective du jazz en Allemagne ne peut être que rapide et arbitraire et laisser ce qu’il faut de curiosité avant le concert…
Book Reviews by Lucas Le Texier
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Papers by Lucas Le Texier
Simon Copans (1912-2000) – dit « Sim » Copans – a joué un rôle crucial dans l’exposition et la découverte de l’Amérique grâce à son travail d’homme de radio sur les ondes françaises. Professeur à l’Université de Colombia à la suite d’une thèse menée en France sur les relations franco-américaines, il décida de s’engager lors de la Seconde guerre mondiale en tant qu’opérateur radio dans l’Office of War Information (OWI, l’agence gouvernementale des États-Unis qui opérait par les médias pendant la Seconde Guerre mondiale). À la fin de la guerre, Simon Copans décida de rester en France, et occupa un poste dans la politique culturelle des États-Unis menée dans le pays – politique relevant non plus de la branche militaire de l’OWI mais de la branche civile de l’United States Information Service (USIS) sous le contrôle du Département d’État. Cette activité le conduisit à intervenir sur les ondes françaises, en tant que simple collaborateur mais aussi producteur d’émissions radiophoniques.
Simon Copans va alors s’atteler à exposer l’Amérique et le triptyque qui nous intéresse ici : les corps, les lieux et les appartenances. Grâce à la diffusion de la musique américaine, ponctuant une narration radiophonique qui apporte des éléments sur la culture, les communautés et la géographie des États-Unis, les interventions de Copans nourrissent la curiosité des français pour les États-Unis et répondent aux ambitions du gouvernement américain qui cherche (non sans intérêt donc) à faire connaître leur pays en France. La musique et le son participent à dépeindre une Amérique vaste et diverse : des bruits des grandes métropoles à la Nouvelle-Orléans en passant par les Great Smoky Mountains ; du folklore des fêtes religieuses américaines à celui des marins ou des indiens ; des chansons qui dépeignent les corps des travailleurs, les danses cow-boys ou l’entertainment de Broadway, etc. Si le contenu des discours et les manières de présenter les extraits sonores nous intéresseront particulièrement, les propriétés du discours radiophonique de Sim Copans, qui convie l’auditeur à un véritable voyage en faisant référence à des éléments corporels, devront également être étudiées.
Grâce aux documents et textes d’émissions radiophoniques fournis par le fonds Sim Copans à Souillac, ainsi qu’aux retranscriptions des émissions radiophoniques disponibles dans les archives de l’Institut national de l’audiovisuel, cette communication cherchera à montrer le rôle de Sim Copans, les enjeux et les opérations de l’exposition radiophonique de l’Amérique par les trois notions qui nous intéressent.
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This article tackles the issue of the career of the French violin player Didier Lockwood to illustrate the plasticity that jazz musicians can acquire in their own practice. On the one hand, the career of Lockwood is a real example of eclectic taste in music, fed by many influences considering his participations into multiple projects. On the other hand, he embodies the perpetuation of a “French jazz violin school” and so, one of the heirs of Stéphane Grappelli, in France and abroad.
C'est ce que propose ce texte, doté d'une petite notice et d'un dossier documentaire.
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Parisian Jazz Critique and Free Jazz Legitimization: A New Politicisation of Aesthetic Reviews (1959-1965)
This article tackles the issue of the discovery of free jazz by African American musicians between 1959 and 1965 in two major jazz-specialized French periodicals – Jazz Hot and Jazz Magazine. On the one hand, it deals with the fact that such musicians tend to claim their affiliations to free jazz, thus emancipating from a “jazz label” that would seem too rigid and connoted ; on the other hand, free jazz is also subject to a new dramatization of an aesthetic conflict, that would legitimatise a new generation of critics that politicizes aesthetic reviews.
La décortication des nouveaux effets promus par la génération de freejazzmen et l'étude de l'autodétermination esthétique via les propos des interprètes nous permettent de cerner le polymorphisme de la freemusic.
Nous nous proposons de composer une histoire de la réception d'un premier free jazz sous le regard de la critique parisienne, en étudiant la rémanence d'une querelle entre progressistes et modernistes, en cernant comment le free permet à une nouvelle critique de remplacer ses aînés et en quoi cette dernière propose de nouveaux modèles d'appréciations pour apprécier le free. De l'adaptabilité des normes musicales à la légitimation politique du jazz, ce mémoire montre l'évolution et les transformations profondes des registres d'écriture et des sensibilités des critiques spécialisés.
Conference Presentations by Lucas Le Texier
Simon Copans (1912-2000) – dit « Sim » Copans – a joué un rôle crucial dans l’exposition et la découverte de l’Amérique grâce à son travail d’homme de radio sur les ondes françaises. Professeur à l’Université de Columbia à la suite d’une thèse menée en France sur les relations franco-américaines, il décida de s’engager lors de la Seconde guerre mondiale en tant qu’opérateur radio dans l’Office of War Information (OWI, l’agence gouvernementale des États-Unis qui opérait par les médias pendant la Seconde Guerre mondiale). À la fin de la guerre, Simon Copans décida de rester en France, et occupa un poste dans la politique culturelle des États-Unis menée dans le pays – politique relevant non plus de la branche militaire de l’O.W.I. mais de la branche civile de l’United States Information Service (USIS) sous le contrôle du Département d’État. Cette activité le conduisit à intervenir sur les ondes françaises, en tant que simple collaborateur mais aussi producteur d’émissions radiophoniques.
Simon Copans va alors s’atteler à exposer l’Amérique et le triptyque qui nous intéresse ici : les corps, les lieux et les appartenances. Grâce à la diffusion de la musique américaine, ponctuant une narration radiophonique qui apporte des éléments sur la culture, les communautés et la géographie des États-Unis, les interventions de Copans nourrissent la curiosité des français pour les États-Unis et répondent aux ambitions du gouvernement américain qui cherche (non sans intérêt donc) à faire connaître leur pays en France. La musique et le son participent à dépeindre une Amérique vaste et diverse : des bruits des grandes métropoles à la Nouvelle-Orléans en passant par les Great Smoky Mountains ; du folklore des fêtes religieuses américaines à celui des marins ou des indiens ; des chansons qui dépeignent les corps des travailleurs, les danses cow-boys ou l’entertainment de Broadway etc. Si le contenu des discours et les manières de présenter les extraits sonores nous intéresseront particulièrement, les propriétés du discours radiophonique de Sim Copans, qui convie l’auditeur à un véritable voyage en faisant référence à des éléments corporels, devront également être étudiées.
Grâce aux documents et textes d’émissions radiophoniques fournis par le fonds Sim Copans à Souillac, ainsi qu’aux retranscriptions des émissions radiophoniques disponibles dans les archives de l’Institut national de l’audiovisuel, cette communication cherchera à montrer le rôle de Sim Copans, les enjeux et les opérations de l’exposition radiophonique de l’Amérique par les trois notions qui nous intéressent.
91000 Évry-Courcouronnes
Nombreux ont été les musiciens de jazz à s’adonner à de multiples styles : les grands orchestres des années trente et quarante mélangeaient aisément jazz, tango, ou cha-cha-cha dans leurs prestations. Le jazz et les chanteurs dits de « variétés » se sont croisés de façon intense pendant les années quarante et cinquante. Il devient donc difficile d’évoquer ou de parler d’un style « jazz » lorsque des musiques ou des interprètes monopolisent de multiples influences. Sur ce point, la carrière de Didier Lockwood peut constituer un point de vue particulièrement pertinent pour évoquer la polymorphie du jazz et les dimensions éclectiques de ses acteurs.
Lockwood incarne d’abord la jeunesse des années soixante-dix : ses écoutes musicales prennent part dans le mélange musical généralisé de cette décennie, où les frontières entre les styles restent poreuses, et où les syncrétismes stylistiques entre rock et jazz donnent lieu à des musiques tout à fait originales. Entre Magma, Zao, le Didier Lockwood Group (Phoenix 90), et différentes formations enregistrées dans plusieurs prestations scéniques (Live in Montreux en 1990 par exemple), le violoniste démontre comment le jazz devient un pattern invoqué par les musiciens, et comment les pratiques jazzistiques se retrouvent de nouveau au contact d’un auditoire jeune qui l’avait délaissé pour le rock’n’roll à la fin des années cinquante. Lockwood manie aussi bien un jazz dit « traditionnel », en témoigne l’amitié et les différentes expériences qu’il entretiendra avec Stéphane Grappelli, ainsi que les disques en son hommage (Tribute To Stéphane Grappelli en 2000, For Stephane en 2008).
Mais Lockwood ne se limite pas au monde du jazz et à ses environs : il collabore avec des chanteurs comme Jacques Higelin, avec qui il effectue une tournée de plus d’un an ainsi qu’un enregistrement (« Et C’est Pour Ca Que La Terre Est Carrée » sur 1.2.3.4) ou encore avec des artistes comme Claude Nougaro, lorsqu’ils réinterprètent la composition de Lockwood « L’Irlandaise » sur Chansongs (1993). Il écrit également des œuvres symphoniques (Les Mouettes), et compose de la musique pour des films ou des dessins animés (Lune Froide de Patrick Bouchitey, La Reine Soleil de Philippe Leclerc par exemple).
Enfin, la figure de Didier Lockwood démontre aussi la multiplication des circulations transnationales dans le monde du jazz : il s’entoure fréquemment de musiciens de jazz étrangers, de son premier album New World (1979) patronné par le critique allemand Joachim-Ernst Berendt, jusqu’à Out Of The Blue (1985) ou encore Storyboard en (1995) ; il se produit aux côtés des figures les plus respectés du jazz comme Dave Brubeck en 1980. Il effectue également de nombreuses tournées à l’étranger avec ses groupes tout au long de sa carrière.
Ce parcours éclectique doit nous montrer deux choses : d’une part, il témoignera que le jazz recouvre une réalité musicale plus polymorphe, que l’on cernera en regardant plus particulièrement la porosité entre les styles plutôt qu’en insistant sur leurs différences – différences intensifiées par l’étiquetage stylistique intervenant a posteriori. D’autre part, il nous montrera une partie des transformations des modalités de travail et de circulation du jazzman, autour notamment de l’intensification des échanges musicaux à l’international, mais aussi entre les genres musicaux, perpétuant ainsi une certaine tradition d’anthropophagie culturelle que les jazzmen et cette musique ont toujours témoignés.
Abstract :
Bien que la France ne fût pas le pays où l’histoire du jazz se fit, elle fût certainement l’endroit qui l’écrivit en premier (Goddard 1979, 139). Mais au lendemain de la Grande Guerre, le mot renvoie non pas à un style aux contours esthétiques bien définis, mais davantage à une réalité polymorphe, composée d’« un mélange de variété américaine, de “musique traditionnelle”, de ragtime instrumental, de jazz symphonique, de musique de danse [et] de gags vocaux, et de ce que les musiciens français des années 30 appelleront du jazz “pur nègre” » (Gumplowicz, 1995, 169), une métaphore de la modernité musicale aux accents syncopés dans l’entre-deux-guerres (Ory, 1985, p. 99).
Le Hot Club de France (HCF), une association d’amateurs-puristes, se constitue en 1932 avec pour but de défendre leur conception de cette musique : grâce au développement d’un dispositif complet et complexe, ils disqualifient une partie du réservoir musical qui constituait le jazz à l’époque pour ne valoriser que celui considéré comme « authentique », tentant de contrôler l’étiquette « jazz » et ses appositions. L’expertise de ces amateurs-puristes, relativement stabilisée à la fin des années trente, se retrouve contestée par l’émergence du dispositif radiophonique d’État à la Libération. Alors que les puristes cherchaient à l’identifier comme un art, la radio d’État redonne au jazz des évocations éclectiques. L’instabilité des acteurs et des programmes – auxquels le HCF participe –, la création de nouvelles émissions, l’incorporation de néo-producteurs, l’insertion du jazz dans des playlists musicales variées ou dans des spectacles de music-halls et télé-crochets radiophoniques font coexister de multiples représentations du jazz qui remettent en cause l’expertise du HCF.
La comparaison entre le dispositif du HCF et le dispositif radiophonique « ordinaire » (Pedler et Cheyronnaud, 2013, 24), et les tensions nées entre l’appréciation puriste du jazz et sa radiomorphose, permettront de mettre en relief, par la coexistence de plusieurs régimes théoriques, la polymorphie de la musique de jazz et la (dé)construction de l’expertise du HCF des années trente jusqu’à la fin des années quarante.
Références bibliographiques :
Chris Goddard, Jazz away from home, New-York, Paddington Press, 1979.
Philippe Gumplowicz, « Au Hot Club de France, on ne faisait pas danser les filles », dans Philippe Gumplowicz et Jean-Claude Klein [dir.], Paris, 1944-1954 : artistes, intellectuels, publics, la culture comme enjeu, édition Autrement, 1995, p. 167-182.
Pascal Ory, « 3. Notes sur l’acclimatation du jazz en France », Vibrations, revue d’études des musiques populaires, n° 1, avril 1985, p. 93-102.
Emmanuel Pedler et Jacques Cheyronnaud, « Penser les théories ordinaires », dans Emmanuel Pedler et Jacques Cheyronnaud [dir.], Théories ordinaires, Paris, EHESS, coll. « Enquête », 2013, p. 13-24.
13 décembre 2018 – Université de Bourgogne - 4 boulevard Gabriel, bât. Droit, salle 202 - 14 h. - 17 h. //
Séminaire : Culture, médias, pouvoirs aux États-Unis et en Europe occidentale, 1945-1991. L’exemple de la musique américaine //
Organisateur : Philippe Poirrier (CGC UMR CNRS uB 7366)
Centre Georges Chevrier, Collège doctoral franco-allemand en SHS Dijon-Mayence - Territoires Contemporains
Université de Bourgogne, Dijon, 23 octobre 2015
Compte rendu réalisé par Lucas Le Texier
De la toute fin des années cinquante au milieu de la décennie soixante, la nouvelle proposition esthétique de l'avant-garde américaine apparaît sporadiquement en France. En premier lieu, les productions discographiques de musiciens tels que Cecil Taylor, Eric Dolphy ou Ornette Coleman apparaissent comme des ovnis pour les critiques parisiens : des curiosités pour les plus intrigués au "n'importe quoi sonore" pour les plus véhéments. Ce qui a été perçu comme nouveau prend également racine dans les musiques d'anciens du hard bop, tels que Charles Mingus, John Coltrane ou bien encore Max Roach. S'installe donc dans l'imaginaire des critiques un nouvel univers sonore légitimé par des figures reconnues du jazz et par des nouveaux musiciens.
Gérard Bremond, critique à Jazz Hot, est le premier qui cherche à apporter des éléments de lectures à cette musique au sein des revues parisiennes spécialisées . En étudiant la discographie récente de John Coltrane, Bremond analyse la sonorité vocale du musicien comme l'expression d'un "véritable cri de protestation, de révolte". Pour lui, le débit de notes extrêmement important sur les albums de la deuxième moitié des années cinquante et le jeu permanent de Coltrane dans le registre aigu de son instrument sont des façons pour le musicien d'émettre des cris de protestation en écho à sa souffrance et à sa condition sociale d'afro-américain aliénée par le racisme de la société états-unienne. La musique de Coltrane naît d'émotions non plus inscrites (uniquement) dans le carcan esthétique du langage jazz, mais également ancrées dans une colère personnelle que le saxophoniste extériorise.
Au fil des années soixante, le free jazz ne fut plus seulement analysé comme une colère, mais comme l'affirmation de revendications politiques et sociales. Les jeux de Max Roach et de la chanteuse Abbey Lincoln lors des performances scéniques de leur album Freedom Now Suit illustraient la révolte noire-américaine pour l'égalité civique et le chemin vers l'émancipation de la société américaine. Les différentes entretiens que Jazz Hot et Jazz Magazine menèrent avec les artistes, en laissant une large part aux rapports qu'entretenaient les musiciens avec la société américaine, incitaient les critiques à lier étroitement la musique d'avant-garde free et les revendications politiques : Max Roach et Charles Mingus dénonçaient l'étiquetage de "jazz" sur leur musique, tout juste commercial ; Archie Shepp associait la new thing à son combat contre "la guerre du Viêt-Nam, l'exploitation de [ses] frères" et en faisait directement le moyen d'expression de son identité politique.
La disqualification des anciens par les modernes était donc permise par le free comme symbole de modernité et de progrès musical, mais aussi par l'utilisation d'un nouveau langage de la part d'une nouvelle génération de critiques, formaliste et proche des réseaux d'extrême-gauche. Olivier Roueff relevait que la "thématisation d'un pur matériau esthétique irréductible à son façonnement par les artistes [attribue] au seul commentateur le pouvoir de lire le sens des œuvres et des innovations ". C'est par la politisation des éléments sonores que la nouvelle génération de critiques de jazz entreprend de trouver sa place dans les revues parisiennes spécialisées : elle élève les musiciens au rang de "maudits" en faisant d'eux des figures d'ermites musicaux purs et sages ; elle entreprend de rapporter chaque élément tiré du langage musical comme ayant un lien politique avec la protestation afro-américaine ; enfin, elle se (re)constitue comme un intermédiaire obligé entre l'auditeur et le musicien en décortiquant les messages et signaux sonores par des idées politiques.
Cette réception de plus en plus politisante conduit à mettre dans le même moule politique des artistes qui revendiquaient explicitement entretenir un autre rapport au monde avec leur musique, d'avantage spirituel que politique.
Cet article se propose de retracer le cheminement de la politisation des éléments sonores du free jazz afro-américain par les critiques parisiens dans la première moitié de la décennie soixante, tout en illustrant les limites et dérives de cette lecture.
Lucas Le Texier
Etudiant en Master 2 d'histoire contemporaine
Université de Bourgogne
Book Reviews by Lucas Le Texier
Simon Copans (1912-2000) – dit « Sim » Copans – a joué un rôle crucial dans l’exposition et la découverte de l’Amérique grâce à son travail d’homme de radio sur les ondes françaises. Professeur à l’Université de Colombia à la suite d’une thèse menée en France sur les relations franco-américaines, il décida de s’engager lors de la Seconde guerre mondiale en tant qu’opérateur radio dans l’Office of War Information (OWI, l’agence gouvernementale des États-Unis qui opérait par les médias pendant la Seconde Guerre mondiale). À la fin de la guerre, Simon Copans décida de rester en France, et occupa un poste dans la politique culturelle des États-Unis menée dans le pays – politique relevant non plus de la branche militaire de l’OWI mais de la branche civile de l’United States Information Service (USIS) sous le contrôle du Département d’État. Cette activité le conduisit à intervenir sur les ondes françaises, en tant que simple collaborateur mais aussi producteur d’émissions radiophoniques.
Simon Copans va alors s’atteler à exposer l’Amérique et le triptyque qui nous intéresse ici : les corps, les lieux et les appartenances. Grâce à la diffusion de la musique américaine, ponctuant une narration radiophonique qui apporte des éléments sur la culture, les communautés et la géographie des États-Unis, les interventions de Copans nourrissent la curiosité des français pour les États-Unis et répondent aux ambitions du gouvernement américain qui cherche (non sans intérêt donc) à faire connaître leur pays en France. La musique et le son participent à dépeindre une Amérique vaste et diverse : des bruits des grandes métropoles à la Nouvelle-Orléans en passant par les Great Smoky Mountains ; du folklore des fêtes religieuses américaines à celui des marins ou des indiens ; des chansons qui dépeignent les corps des travailleurs, les danses cow-boys ou l’entertainment de Broadway, etc. Si le contenu des discours et les manières de présenter les extraits sonores nous intéresseront particulièrement, les propriétés du discours radiophonique de Sim Copans, qui convie l’auditeur à un véritable voyage en faisant référence à des éléments corporels, devront également être étudiées.
Grâce aux documents et textes d’émissions radiophoniques fournis par le fonds Sim Copans à Souillac, ainsi qu’aux retranscriptions des émissions radiophoniques disponibles dans les archives de l’Institut national de l’audiovisuel, cette communication cherchera à montrer le rôle de Sim Copans, les enjeux et les opérations de l’exposition radiophonique de l’Amérique par les trois notions qui nous intéressent.
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This article tackles the issue of the career of the French violin player Didier Lockwood to illustrate the plasticity that jazz musicians can acquire in their own practice. On the one hand, the career of Lockwood is a real example of eclectic taste in music, fed by many influences considering his participations into multiple projects. On the other hand, he embodies the perpetuation of a “French jazz violin school” and so, one of the heirs of Stéphane Grappelli, in France and abroad.
C'est ce que propose ce texte, doté d'une petite notice et d'un dossier documentaire.
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Parisian Jazz Critique and Free Jazz Legitimization: A New Politicisation of Aesthetic Reviews (1959-1965)
This article tackles the issue of the discovery of free jazz by African American musicians between 1959 and 1965 in two major jazz-specialized French periodicals – Jazz Hot and Jazz Magazine. On the one hand, it deals with the fact that such musicians tend to claim their affiliations to free jazz, thus emancipating from a “jazz label” that would seem too rigid and connoted ; on the other hand, free jazz is also subject to a new dramatization of an aesthetic conflict, that would legitimatise a new generation of critics that politicizes aesthetic reviews.
La décortication des nouveaux effets promus par la génération de freejazzmen et l'étude de l'autodétermination esthétique via les propos des interprètes nous permettent de cerner le polymorphisme de la freemusic.
Nous nous proposons de composer une histoire de la réception d'un premier free jazz sous le regard de la critique parisienne, en étudiant la rémanence d'une querelle entre progressistes et modernistes, en cernant comment le free permet à une nouvelle critique de remplacer ses aînés et en quoi cette dernière propose de nouveaux modèles d'appréciations pour apprécier le free. De l'adaptabilité des normes musicales à la légitimation politique du jazz, ce mémoire montre l'évolution et les transformations profondes des registres d'écriture et des sensibilités des critiques spécialisés.
Simon Copans (1912-2000) – dit « Sim » Copans – a joué un rôle crucial dans l’exposition et la découverte de l’Amérique grâce à son travail d’homme de radio sur les ondes françaises. Professeur à l’Université de Columbia à la suite d’une thèse menée en France sur les relations franco-américaines, il décida de s’engager lors de la Seconde guerre mondiale en tant qu’opérateur radio dans l’Office of War Information (OWI, l’agence gouvernementale des États-Unis qui opérait par les médias pendant la Seconde Guerre mondiale). À la fin de la guerre, Simon Copans décida de rester en France, et occupa un poste dans la politique culturelle des États-Unis menée dans le pays – politique relevant non plus de la branche militaire de l’O.W.I. mais de la branche civile de l’United States Information Service (USIS) sous le contrôle du Département d’État. Cette activité le conduisit à intervenir sur les ondes françaises, en tant que simple collaborateur mais aussi producteur d’émissions radiophoniques.
Simon Copans va alors s’atteler à exposer l’Amérique et le triptyque qui nous intéresse ici : les corps, les lieux et les appartenances. Grâce à la diffusion de la musique américaine, ponctuant une narration radiophonique qui apporte des éléments sur la culture, les communautés et la géographie des États-Unis, les interventions de Copans nourrissent la curiosité des français pour les États-Unis et répondent aux ambitions du gouvernement américain qui cherche (non sans intérêt donc) à faire connaître leur pays en France. La musique et le son participent à dépeindre une Amérique vaste et diverse : des bruits des grandes métropoles à la Nouvelle-Orléans en passant par les Great Smoky Mountains ; du folklore des fêtes religieuses américaines à celui des marins ou des indiens ; des chansons qui dépeignent les corps des travailleurs, les danses cow-boys ou l’entertainment de Broadway etc. Si le contenu des discours et les manières de présenter les extraits sonores nous intéresseront particulièrement, les propriétés du discours radiophonique de Sim Copans, qui convie l’auditeur à un véritable voyage en faisant référence à des éléments corporels, devront également être étudiées.
Grâce aux documents et textes d’émissions radiophoniques fournis par le fonds Sim Copans à Souillac, ainsi qu’aux retranscriptions des émissions radiophoniques disponibles dans les archives de l’Institut national de l’audiovisuel, cette communication cherchera à montrer le rôle de Sim Copans, les enjeux et les opérations de l’exposition radiophonique de l’Amérique par les trois notions qui nous intéressent.
91000 Évry-Courcouronnes
Nombreux ont été les musiciens de jazz à s’adonner à de multiples styles : les grands orchestres des années trente et quarante mélangeaient aisément jazz, tango, ou cha-cha-cha dans leurs prestations. Le jazz et les chanteurs dits de « variétés » se sont croisés de façon intense pendant les années quarante et cinquante. Il devient donc difficile d’évoquer ou de parler d’un style « jazz » lorsque des musiques ou des interprètes monopolisent de multiples influences. Sur ce point, la carrière de Didier Lockwood peut constituer un point de vue particulièrement pertinent pour évoquer la polymorphie du jazz et les dimensions éclectiques de ses acteurs.
Lockwood incarne d’abord la jeunesse des années soixante-dix : ses écoutes musicales prennent part dans le mélange musical généralisé de cette décennie, où les frontières entre les styles restent poreuses, et où les syncrétismes stylistiques entre rock et jazz donnent lieu à des musiques tout à fait originales. Entre Magma, Zao, le Didier Lockwood Group (Phoenix 90), et différentes formations enregistrées dans plusieurs prestations scéniques (Live in Montreux en 1990 par exemple), le violoniste démontre comment le jazz devient un pattern invoqué par les musiciens, et comment les pratiques jazzistiques se retrouvent de nouveau au contact d’un auditoire jeune qui l’avait délaissé pour le rock’n’roll à la fin des années cinquante. Lockwood manie aussi bien un jazz dit « traditionnel », en témoigne l’amitié et les différentes expériences qu’il entretiendra avec Stéphane Grappelli, ainsi que les disques en son hommage (Tribute To Stéphane Grappelli en 2000, For Stephane en 2008).
Mais Lockwood ne se limite pas au monde du jazz et à ses environs : il collabore avec des chanteurs comme Jacques Higelin, avec qui il effectue une tournée de plus d’un an ainsi qu’un enregistrement (« Et C’est Pour Ca Que La Terre Est Carrée » sur 1.2.3.4) ou encore avec des artistes comme Claude Nougaro, lorsqu’ils réinterprètent la composition de Lockwood « L’Irlandaise » sur Chansongs (1993). Il écrit également des œuvres symphoniques (Les Mouettes), et compose de la musique pour des films ou des dessins animés (Lune Froide de Patrick Bouchitey, La Reine Soleil de Philippe Leclerc par exemple).
Enfin, la figure de Didier Lockwood démontre aussi la multiplication des circulations transnationales dans le monde du jazz : il s’entoure fréquemment de musiciens de jazz étrangers, de son premier album New World (1979) patronné par le critique allemand Joachim-Ernst Berendt, jusqu’à Out Of The Blue (1985) ou encore Storyboard en (1995) ; il se produit aux côtés des figures les plus respectés du jazz comme Dave Brubeck en 1980. Il effectue également de nombreuses tournées à l’étranger avec ses groupes tout au long de sa carrière.
Ce parcours éclectique doit nous montrer deux choses : d’une part, il témoignera que le jazz recouvre une réalité musicale plus polymorphe, que l’on cernera en regardant plus particulièrement la porosité entre les styles plutôt qu’en insistant sur leurs différences – différences intensifiées par l’étiquetage stylistique intervenant a posteriori. D’autre part, il nous montrera une partie des transformations des modalités de travail et de circulation du jazzman, autour notamment de l’intensification des échanges musicaux à l’international, mais aussi entre les genres musicaux, perpétuant ainsi une certaine tradition d’anthropophagie culturelle que les jazzmen et cette musique ont toujours témoignés.
Abstract :
Bien que la France ne fût pas le pays où l’histoire du jazz se fit, elle fût certainement l’endroit qui l’écrivit en premier (Goddard 1979, 139). Mais au lendemain de la Grande Guerre, le mot renvoie non pas à un style aux contours esthétiques bien définis, mais davantage à une réalité polymorphe, composée d’« un mélange de variété américaine, de “musique traditionnelle”, de ragtime instrumental, de jazz symphonique, de musique de danse [et] de gags vocaux, et de ce que les musiciens français des années 30 appelleront du jazz “pur nègre” » (Gumplowicz, 1995, 169), une métaphore de la modernité musicale aux accents syncopés dans l’entre-deux-guerres (Ory, 1985, p. 99).
Le Hot Club de France (HCF), une association d’amateurs-puristes, se constitue en 1932 avec pour but de défendre leur conception de cette musique : grâce au développement d’un dispositif complet et complexe, ils disqualifient une partie du réservoir musical qui constituait le jazz à l’époque pour ne valoriser que celui considéré comme « authentique », tentant de contrôler l’étiquette « jazz » et ses appositions. L’expertise de ces amateurs-puristes, relativement stabilisée à la fin des années trente, se retrouve contestée par l’émergence du dispositif radiophonique d’État à la Libération. Alors que les puristes cherchaient à l’identifier comme un art, la radio d’État redonne au jazz des évocations éclectiques. L’instabilité des acteurs et des programmes – auxquels le HCF participe –, la création de nouvelles émissions, l’incorporation de néo-producteurs, l’insertion du jazz dans des playlists musicales variées ou dans des spectacles de music-halls et télé-crochets radiophoniques font coexister de multiples représentations du jazz qui remettent en cause l’expertise du HCF.
La comparaison entre le dispositif du HCF et le dispositif radiophonique « ordinaire » (Pedler et Cheyronnaud, 2013, 24), et les tensions nées entre l’appréciation puriste du jazz et sa radiomorphose, permettront de mettre en relief, par la coexistence de plusieurs régimes théoriques, la polymorphie de la musique de jazz et la (dé)construction de l’expertise du HCF des années trente jusqu’à la fin des années quarante.
Références bibliographiques :
Chris Goddard, Jazz away from home, New-York, Paddington Press, 1979.
Philippe Gumplowicz, « Au Hot Club de France, on ne faisait pas danser les filles », dans Philippe Gumplowicz et Jean-Claude Klein [dir.], Paris, 1944-1954 : artistes, intellectuels, publics, la culture comme enjeu, édition Autrement, 1995, p. 167-182.
Pascal Ory, « 3. Notes sur l’acclimatation du jazz en France », Vibrations, revue d’études des musiques populaires, n° 1, avril 1985, p. 93-102.
Emmanuel Pedler et Jacques Cheyronnaud, « Penser les théories ordinaires », dans Emmanuel Pedler et Jacques Cheyronnaud [dir.], Théories ordinaires, Paris, EHESS, coll. « Enquête », 2013, p. 13-24.
13 décembre 2018 – Université de Bourgogne - 4 boulevard Gabriel, bât. Droit, salle 202 - 14 h. - 17 h. //
Séminaire : Culture, médias, pouvoirs aux États-Unis et en Europe occidentale, 1945-1991. L’exemple de la musique américaine //
Organisateur : Philippe Poirrier (CGC UMR CNRS uB 7366)
Centre Georges Chevrier, Collège doctoral franco-allemand en SHS Dijon-Mayence - Territoires Contemporains
Université de Bourgogne, Dijon, 23 octobre 2015
Compte rendu réalisé par Lucas Le Texier
De la toute fin des années cinquante au milieu de la décennie soixante, la nouvelle proposition esthétique de l'avant-garde américaine apparaît sporadiquement en France. En premier lieu, les productions discographiques de musiciens tels que Cecil Taylor, Eric Dolphy ou Ornette Coleman apparaissent comme des ovnis pour les critiques parisiens : des curiosités pour les plus intrigués au "n'importe quoi sonore" pour les plus véhéments. Ce qui a été perçu comme nouveau prend également racine dans les musiques d'anciens du hard bop, tels que Charles Mingus, John Coltrane ou bien encore Max Roach. S'installe donc dans l'imaginaire des critiques un nouvel univers sonore légitimé par des figures reconnues du jazz et par des nouveaux musiciens.
Gérard Bremond, critique à Jazz Hot, est le premier qui cherche à apporter des éléments de lectures à cette musique au sein des revues parisiennes spécialisées . En étudiant la discographie récente de John Coltrane, Bremond analyse la sonorité vocale du musicien comme l'expression d'un "véritable cri de protestation, de révolte". Pour lui, le débit de notes extrêmement important sur les albums de la deuxième moitié des années cinquante et le jeu permanent de Coltrane dans le registre aigu de son instrument sont des façons pour le musicien d'émettre des cris de protestation en écho à sa souffrance et à sa condition sociale d'afro-américain aliénée par le racisme de la société états-unienne. La musique de Coltrane naît d'émotions non plus inscrites (uniquement) dans le carcan esthétique du langage jazz, mais également ancrées dans une colère personnelle que le saxophoniste extériorise.
Au fil des années soixante, le free jazz ne fut plus seulement analysé comme une colère, mais comme l'affirmation de revendications politiques et sociales. Les jeux de Max Roach et de la chanteuse Abbey Lincoln lors des performances scéniques de leur album Freedom Now Suit illustraient la révolte noire-américaine pour l'égalité civique et le chemin vers l'émancipation de la société américaine. Les différentes entretiens que Jazz Hot et Jazz Magazine menèrent avec les artistes, en laissant une large part aux rapports qu'entretenaient les musiciens avec la société américaine, incitaient les critiques à lier étroitement la musique d'avant-garde free et les revendications politiques : Max Roach et Charles Mingus dénonçaient l'étiquetage de "jazz" sur leur musique, tout juste commercial ; Archie Shepp associait la new thing à son combat contre "la guerre du Viêt-Nam, l'exploitation de [ses] frères" et en faisait directement le moyen d'expression de son identité politique.
La disqualification des anciens par les modernes était donc permise par le free comme symbole de modernité et de progrès musical, mais aussi par l'utilisation d'un nouveau langage de la part d'une nouvelle génération de critiques, formaliste et proche des réseaux d'extrême-gauche. Olivier Roueff relevait que la "thématisation d'un pur matériau esthétique irréductible à son façonnement par les artistes [attribue] au seul commentateur le pouvoir de lire le sens des œuvres et des innovations ". C'est par la politisation des éléments sonores que la nouvelle génération de critiques de jazz entreprend de trouver sa place dans les revues parisiennes spécialisées : elle élève les musiciens au rang de "maudits" en faisant d'eux des figures d'ermites musicaux purs et sages ; elle entreprend de rapporter chaque élément tiré du langage musical comme ayant un lien politique avec la protestation afro-américaine ; enfin, elle se (re)constitue comme un intermédiaire obligé entre l'auditeur et le musicien en décortiquant les messages et signaux sonores par des idées politiques.
Cette réception de plus en plus politisante conduit à mettre dans le même moule politique des artistes qui revendiquaient explicitement entretenir un autre rapport au monde avec leur musique, d'avantage spirituel que politique.
Cet article se propose de retracer le cheminement de la politisation des éléments sonores du free jazz afro-américain par les critiques parisiens dans la première moitié de la décennie soixante, tout en illustrant les limites et dérives de cette lecture.
Lucas Le Texier
Etudiant en Master 2 d'histoire contemporaine
Université de Bourgogne
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URL : https://ondesdejazz.hypotheses.org/359
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Billet à la Une de LA LETTRE d'OpenEdition n°434, le 11 décembre 2019. URL : https://journals.openedition.org/12020?file=1
URL : https://ondesdejazz.hypotheses.org/50