
Laurent Lefetz
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Papers by Laurent Lefetz
Revue PHILOSOPHOS (Brasil) ; Dossier Henri Bergson coordonné par M. Fabio F. de Almedia
https://revistas.ufg.br/philosophos/issue/view/2331
« La pipe d'Einstein et le tableau de Bergson »
I La pipe d'Einstein et le tableau de Langevin
II La pipe de Bohr et le tableau d'Einstein
PLATON, La République, livre VII
"contraction" : Resserrement, rapprochement des molécules d'un corps, qui a pour résultat de diminuer le volume en augmentant la densité. (Littré) Cette définition du dictionnaire renvoie à une opération de rapprochement interne au corps contracté, au niveau de sa constitution physique. On parle ainsi de contraction ou, à l'inverse, de dilatation en évoquant un effet physique exercé, par exemple sur une barre rigide, sur un gaz, etc., dans une ou plusieurs directions de l'espace. Il peut s'agir de contraction sous l'effet du froid, de dilatation sous l'effet de la chaleur ou de tout autre phénomène. On peut remarquer que l'effet physique est en rapport avec une mesure ou tout au moins avec une différence constatable ou mesurable. Ce qui sous-entend une évaluation relative à un étalon, un référent métrique, une opération de mesure pouvant être effectuée avant et après l'opération physique. D'où des implications quant à ce que nous appelons « espace » : contraction et dilatation supposent un « corps » dont on réfère les dimensions à un espace qui le contient ou l'environne et qui lui, ne fait l'objet ni de contraction ni de dilatation. Imaginons ce corps comme une "boîte" (Einstein, 1917), parler de contraction ou de dilatation à son propos n'a de sens que par rapport à une boîte « plus grande » qui le contient à l'image des axes de coordonnées formant un référentiel. Mais il y a aussi dans cette définition anodine du dictionnaire des implications au niveau du temps : la boîte contractée ou dilatée est ainsi déterminée selon un avant et un après, par rapport à un temps supposé en dehors de ce phénomène et, comme la « grande boîte », le contenant. Que pourrait bien être une contraction, ou dilatation, avec un repérage spatial ou temporel qui en subirait aussi les effets ? Question vertigineuse comme celle que décrit l'écrivain et mathématicien Lewis Carroll2 dans Alice au Pays des Merveilles avec la chute dans le terrier du Lapin blanc et les phénomènes de contraction/dilatation à l'intérieur. Sont ainsi intimement liés deux choses dans ce simple mot de contraction ; d'une part, une opération exercée à un niveau qui semble interne au corps, d'autre part, une opération de mesure ou d'évaluation de la différence produite et semblant s'exercer à un niveau externe. Il est aussi à noter que, parfois, il est question de contraction ou de dilatation sans faire appel à une opération physique ; les choses se passent de manière mathématique ou géométrique, il est question de réduction, de diminution ou de raccourcissement (inversement d'agrandissement, d'allongement...) sans faire appel à une constitution physique ou corporelle. En ce deuxième sens, il n'y a qu'un seul niveau où s'impliquent opérations de transformation et de mesure. Ainsi quand on considère des figures géométriques et leurs transformations, des cartes géographiques d'échelles variables et représentant un même territoire, etc... C'est aussi le cas de la perspective qui peut être assimilée à un domaine des mathématiques dans la mesure où elle étudie, non pas les corps, mais les rapports entre les corps tels qu'ils apparaissent avec la vision. Dans le tableau du peintre, les objets représentés éloignés sont ainsi contractés, réduits, par rapport à ceux qui sont proches. Mais dans ce cas, le spectateur sait bien qu'il ne s'agit pas d'une « contraction réelle ». Deux peintres se représentent réciproquement en diminuant ou contractant les 1
1 Elie During, « Langevin ou le paradoxe introuvable », Revue de métaphysique et de morale, 2014. L'auteur y pointe à juste titre une énigme : « ... car de jumeaux il ne fut pas question ce jour-là, pas plus que de paradoxe ».
2 La référence à Charles Lutwidge Dodgson, alias Lewis Carroll, professeur de mathématiques à Oxford de 1855 jusqu'à sa mort en 1898, n'est pas une simple référence « littéraire ». J.-M. Lévy-Leblond a étudié le « groupe qui est une nouvelle limite non-relativiste du groupe de Poincaré » en proposant de le baptiser « groupe de Carroll » dans son article « Une nouvelle limite non-relativiste du groupe de Poincaré », Ann. Inst. Henri Poincaré, Vol. III, n° 1, 1965, p. 1-12. La référence à Lewis Carroll est aussi explicite chez le physicien Georges Gamow comme dans M. Tompkins au pays des merveilles, Paris, Dunod, 1953 (livre évoqué par J.-M. Lévy-Leblond dans « La relativité aujourd'hui », La Recherche n° 96, janvier 1979).
Mots-clés : Bergson, Einstein, Husserl, Heidegger, Arendt, Deleuze, science, philosophie, histoire, enseignement de la physique, temps, émergence, événement.
Er hat zwei Gegner : Der erste bedrängt ihn von hinten, vom Ursprung her. Der zweite verehrt ihm den Weg nach vom. Er kämpft mit beiden. Eigentlich unterstützt ihn der erste im Kampf mit dem zweiten, denn er will ihn nach vorn drängen, und ebenso unterstützt ihn der zweite im Kampf mit dem ersten ; denn er treibt ihn zurück. So ist er aber nur theoretisch. Denn es sind ja nicht nur die zwei Gegner da, sondern auch-noch er selbst, und immerhin ist es sein Traum, dass er einmal in einem unbewachten Augenblick – dazu gehört allerdings eine Nacht, so finster, wie noch keine war – aus der Kampflinie ausspringt und wegen seiner Kampfeserfahrung zum Richter über seine miteinander kämpfenden Gegner erhoben wird.
Il a deux adversaires : le premier le serre sur l’arrière, à partir de son origine. Le second lui barre la route par-devant. Il se bat avec les deux. A vrai dire, le premier lui prête son appui dans sa lutte avec le second, car il peut le pousser vers l’avant, et de la même façon le second lui prête son appui dans sa lutte avec le premier, puisqu’il le repousse en arrière. Mais cela n’est que théorique. Car ce ne sont pas seulement les deux adversaires qui sont là, mais encore lui-même, et quoi qu’il en soit, il y a son rêve, que, dans un moment de faiblesse – et cela, il faut l’admettre, exigerait une nuit plus noire qu’on en a jamais vu – il s’évadera des premières lignes et sera promu, grâce à son expérience du combat, au rang d’arbitre de la lutte que mènent les deux adversaires.
Vient ensuite un passage du Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche complété par un commentaire de Heidegger :
Deux voies ici se joignent, que ne suivit personne jusqu’au bout. Cette longue voie derrière dure une éternité. Et cette longue voie devant – est une seconde éternité. Elles se contredisent ces voies, se heurtent de plein front ; - et c’est ici, sous ce portique, qu’elles se joignent. Le nom de ce portique est là-haut inscrit : « Instant ! » (Augenblick)... Vois, dis-je, cet instant ! De ce portique, Instant, court en arrière, une longue, une éternelle voie ; derrière nous s’étend une éternité (et une autre voie mène de l’avant jusqu’à un éternel futur.)
Hannah Arendt citant Heidegger :
Heidegger, qui commente le passage dans son Nietzsche , fait remarquer que ce n’est pas la vue qu’aurait le spectateur, mais quelqu’un qui se tient sous le portique ; pour celui qui regarde, le temps passe comme on le conçoit d’habitude, selon une suite de « maintenant » où une chose succède sans cesse à une autre. Il n’y a pas de point de rencontre ; il n’y a pas deux voies, deux routes, mais une seule. « Il y a là une collision entre les deux. Certes, aux yeux de celui-là seul qui ne demeure pas simplement spectateur, mais qui est lui-même l’instant.... Qui se tient dans l’instant, fait face dans les deux sens opposés : pour lui le passé et l’avenir courent l’un contre l’autre. » Et, pour résumer dans le contexte de la doctrine nietzschéenne de l’Eternel Retour, Heidegger ajoute : « C’est là ce qu’il y a de plus difficile dans la doctrine de l’Eternel Retour, son caractère propre, à savoir que l’éternité est dans l’instant, que l’instant n’est point le fugitif maintenant, aux yeux du spectateur, mais la collision de l’avenir et du passé. »
Une des choses qui intéresse Hannah Arendt dans ce texte de Kafka comme dans celui de Nietzsche commenté par Heidegger, est la présentation du temps - qui ordinairement se dit selon une suite ou une ligne -, sous la forme d’une dualité, d’une rivalité ou d’un combat entre deux instances – le passé et l’avenir -, qui prend place dans le maintenant ou dans l’instant.
Ce que nous pouvons retenir dans un premier temps de cette lecture, est la conjonction de deux points soulignés :
1 / la présence de ces deux instances temporelles qui s’opposent et se combattent, là où habituellement on ne voit que le temps simple se distribuant suivant passé, présent, avenir
2 / le fait que ces deux instances s’annulent, se neutralisent en ce point où elles se rencontrent : le maintenant, l’instant, ou mieux encore : l’instant du maintenant
Drafts by Laurent Lefetz
Laurent Lefetz, 1er janvier 2024
Revue PHILOSOPHOS (Brasil) ; Dossier Henri Bergson coordonné par M. Fabio F. de Almedia
https://revistas.ufg.br/philosophos/issue/view/2331
« La pipe d'Einstein et le tableau de Bergson »
I La pipe d'Einstein et le tableau de Langevin
II La pipe de Bohr et le tableau d'Einstein
PLATON, La République, livre VII
"contraction" : Resserrement, rapprochement des molécules d'un corps, qui a pour résultat de diminuer le volume en augmentant la densité. (Littré) Cette définition du dictionnaire renvoie à une opération de rapprochement interne au corps contracté, au niveau de sa constitution physique. On parle ainsi de contraction ou, à l'inverse, de dilatation en évoquant un effet physique exercé, par exemple sur une barre rigide, sur un gaz, etc., dans une ou plusieurs directions de l'espace. Il peut s'agir de contraction sous l'effet du froid, de dilatation sous l'effet de la chaleur ou de tout autre phénomène. On peut remarquer que l'effet physique est en rapport avec une mesure ou tout au moins avec une différence constatable ou mesurable. Ce qui sous-entend une évaluation relative à un étalon, un référent métrique, une opération de mesure pouvant être effectuée avant et après l'opération physique. D'où des implications quant à ce que nous appelons « espace » : contraction et dilatation supposent un « corps » dont on réfère les dimensions à un espace qui le contient ou l'environne et qui lui, ne fait l'objet ni de contraction ni de dilatation. Imaginons ce corps comme une "boîte" (Einstein, 1917), parler de contraction ou de dilatation à son propos n'a de sens que par rapport à une boîte « plus grande » qui le contient à l'image des axes de coordonnées formant un référentiel. Mais il y a aussi dans cette définition anodine du dictionnaire des implications au niveau du temps : la boîte contractée ou dilatée est ainsi déterminée selon un avant et un après, par rapport à un temps supposé en dehors de ce phénomène et, comme la « grande boîte », le contenant. Que pourrait bien être une contraction, ou dilatation, avec un repérage spatial ou temporel qui en subirait aussi les effets ? Question vertigineuse comme celle que décrit l'écrivain et mathématicien Lewis Carroll2 dans Alice au Pays des Merveilles avec la chute dans le terrier du Lapin blanc et les phénomènes de contraction/dilatation à l'intérieur. Sont ainsi intimement liés deux choses dans ce simple mot de contraction ; d'une part, une opération exercée à un niveau qui semble interne au corps, d'autre part, une opération de mesure ou d'évaluation de la différence produite et semblant s'exercer à un niveau externe. Il est aussi à noter que, parfois, il est question de contraction ou de dilatation sans faire appel à une opération physique ; les choses se passent de manière mathématique ou géométrique, il est question de réduction, de diminution ou de raccourcissement (inversement d'agrandissement, d'allongement...) sans faire appel à une constitution physique ou corporelle. En ce deuxième sens, il n'y a qu'un seul niveau où s'impliquent opérations de transformation et de mesure. Ainsi quand on considère des figures géométriques et leurs transformations, des cartes géographiques d'échelles variables et représentant un même territoire, etc... C'est aussi le cas de la perspective qui peut être assimilée à un domaine des mathématiques dans la mesure où elle étudie, non pas les corps, mais les rapports entre les corps tels qu'ils apparaissent avec la vision. Dans le tableau du peintre, les objets représentés éloignés sont ainsi contractés, réduits, par rapport à ceux qui sont proches. Mais dans ce cas, le spectateur sait bien qu'il ne s'agit pas d'une « contraction réelle ». Deux peintres se représentent réciproquement en diminuant ou contractant les 1
1 Elie During, « Langevin ou le paradoxe introuvable », Revue de métaphysique et de morale, 2014. L'auteur y pointe à juste titre une énigme : « ... car de jumeaux il ne fut pas question ce jour-là, pas plus que de paradoxe ».
2 La référence à Charles Lutwidge Dodgson, alias Lewis Carroll, professeur de mathématiques à Oxford de 1855 jusqu'à sa mort en 1898, n'est pas une simple référence « littéraire ». J.-M. Lévy-Leblond a étudié le « groupe qui est une nouvelle limite non-relativiste du groupe de Poincaré » en proposant de le baptiser « groupe de Carroll » dans son article « Une nouvelle limite non-relativiste du groupe de Poincaré », Ann. Inst. Henri Poincaré, Vol. III, n° 1, 1965, p. 1-12. La référence à Lewis Carroll est aussi explicite chez le physicien Georges Gamow comme dans M. Tompkins au pays des merveilles, Paris, Dunod, 1953 (livre évoqué par J.-M. Lévy-Leblond dans « La relativité aujourd'hui », La Recherche n° 96, janvier 1979).
Mots-clés : Bergson, Einstein, Husserl, Heidegger, Arendt, Deleuze, science, philosophie, histoire, enseignement de la physique, temps, émergence, événement.
Er hat zwei Gegner : Der erste bedrängt ihn von hinten, vom Ursprung her. Der zweite verehrt ihm den Weg nach vom. Er kämpft mit beiden. Eigentlich unterstützt ihn der erste im Kampf mit dem zweiten, denn er will ihn nach vorn drängen, und ebenso unterstützt ihn der zweite im Kampf mit dem ersten ; denn er treibt ihn zurück. So ist er aber nur theoretisch. Denn es sind ja nicht nur die zwei Gegner da, sondern auch-noch er selbst, und immerhin ist es sein Traum, dass er einmal in einem unbewachten Augenblick – dazu gehört allerdings eine Nacht, so finster, wie noch keine war – aus der Kampflinie ausspringt und wegen seiner Kampfeserfahrung zum Richter über seine miteinander kämpfenden Gegner erhoben wird.
Il a deux adversaires : le premier le serre sur l’arrière, à partir de son origine. Le second lui barre la route par-devant. Il se bat avec les deux. A vrai dire, le premier lui prête son appui dans sa lutte avec le second, car il peut le pousser vers l’avant, et de la même façon le second lui prête son appui dans sa lutte avec le premier, puisqu’il le repousse en arrière. Mais cela n’est que théorique. Car ce ne sont pas seulement les deux adversaires qui sont là, mais encore lui-même, et quoi qu’il en soit, il y a son rêve, que, dans un moment de faiblesse – et cela, il faut l’admettre, exigerait une nuit plus noire qu’on en a jamais vu – il s’évadera des premières lignes et sera promu, grâce à son expérience du combat, au rang d’arbitre de la lutte que mènent les deux adversaires.
Vient ensuite un passage du Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche complété par un commentaire de Heidegger :
Deux voies ici se joignent, que ne suivit personne jusqu’au bout. Cette longue voie derrière dure une éternité. Et cette longue voie devant – est une seconde éternité. Elles se contredisent ces voies, se heurtent de plein front ; - et c’est ici, sous ce portique, qu’elles se joignent. Le nom de ce portique est là-haut inscrit : « Instant ! » (Augenblick)... Vois, dis-je, cet instant ! De ce portique, Instant, court en arrière, une longue, une éternelle voie ; derrière nous s’étend une éternité (et une autre voie mène de l’avant jusqu’à un éternel futur.)
Hannah Arendt citant Heidegger :
Heidegger, qui commente le passage dans son Nietzsche , fait remarquer que ce n’est pas la vue qu’aurait le spectateur, mais quelqu’un qui se tient sous le portique ; pour celui qui regarde, le temps passe comme on le conçoit d’habitude, selon une suite de « maintenant » où une chose succède sans cesse à une autre. Il n’y a pas de point de rencontre ; il n’y a pas deux voies, deux routes, mais une seule. « Il y a là une collision entre les deux. Certes, aux yeux de celui-là seul qui ne demeure pas simplement spectateur, mais qui est lui-même l’instant.... Qui se tient dans l’instant, fait face dans les deux sens opposés : pour lui le passé et l’avenir courent l’un contre l’autre. » Et, pour résumer dans le contexte de la doctrine nietzschéenne de l’Eternel Retour, Heidegger ajoute : « C’est là ce qu’il y a de plus difficile dans la doctrine de l’Eternel Retour, son caractère propre, à savoir que l’éternité est dans l’instant, que l’instant n’est point le fugitif maintenant, aux yeux du spectateur, mais la collision de l’avenir et du passé. »
Une des choses qui intéresse Hannah Arendt dans ce texte de Kafka comme dans celui de Nietzsche commenté par Heidegger, est la présentation du temps - qui ordinairement se dit selon une suite ou une ligne -, sous la forme d’une dualité, d’une rivalité ou d’un combat entre deux instances – le passé et l’avenir -, qui prend place dans le maintenant ou dans l’instant.
Ce que nous pouvons retenir dans un premier temps de cette lecture, est la conjonction de deux points soulignés :
1 / la présence de ces deux instances temporelles qui s’opposent et se combattent, là où habituellement on ne voit que le temps simple se distribuant suivant passé, présent, avenir
2 / le fait que ces deux instances s’annulent, se neutralisent en ce point où elles se rencontrent : le maintenant, l’instant, ou mieux encore : l’instant du maintenant
Laurent Lefetz, 1er janvier 2024
« Mais on s’irrite de ce que j’en reviens toujours à proposer la question de la Logique depuis l’indication donnée dans la Leçon inaugurale de 1929 « Qu’est-ce que la Métaphysique ? ». Ceux qui aujourd’hui assistent à ce cours ne peuvent savoir, il est vrai, que depuis le cours « Logique », tenu dans l’été de 1934, sous ce titre de « Logique », se cache la transformation de la Logique en question de l’être du langage, laquelle question est autre chose que de la philosophie linguistique. »
Nous nous interrogeons ici sur ce rapport de Heidegger au langage tel qu’il s’est vu répété au début des années 50, avec le texte « Logos », le cours « Qu’appelle-t-on penser ? » tenu durant le semestre d’été de 1952 orientant la question de la pensée sur le fragment VI de Parménide, et la partie non prononcée de ce cours intitulée « Moîra » (Parménide, VIII, 34-41) qui s’y rattache très étroitement. Ces trois textes forment un ensemble remarquable auquel nous voudrions prêter la plus grande attention. Plus particulièrement, notre examen se focalisera sur la tension entre le mot Zwiefalt autour duquel se clôt le cours de 1952 et le mot de Parménide πεφατισμένον (fragment VIII, 35) tel qu’il est – ce qu’il nous faudra justement examiner et comprendre -, porté au silence par Heidegger. Ainsi en est-il lorsqu’à la fin de ce cours, Heidegger met en relation le τὸ αὐτὸ attachant νοεῖν et εἶναι dans le fragment III, à la relation que le fragment VIII introduit entre νοεῖν et ἄνευ τοῦ ἐόντος aux vers 35 et 36 ainsi traduits :
[35] οὐ γὰρ ἄνευ τοῦ ἐόντος, ἐν ᾧ πεφατισμένον ἐστίν, εὐρήσεις τὸ νοεῖν
« Car ce n’est pas séparé de l’être présent de l’étant pré-sent que tu peux découvrir le prendre en garde. » (W, XI, p. 223)
Chose étonnante, les mots énoncés par Parménide ἐν ᾧ πεφατισμένον ἐστίν sont ainsi passés sous silence dans le cours de 1952. En ce point se joue la traduction sur laquelle repose le cours « Was heisst Denken ? », et au-delà de ce cours, la question du langage telle que Heidegger la posa à partir de Sein und Zeit. Ce que Heidegger appelle Zwiefalt - terme que nous désignerons dans ce qui suit comme Pli -, ne semble pouvoir se dire et se penser avec la « chose énoncée », le πεφατισμένον du fragment VIII. Ce qui nous engage en ce point dans la question du langage.
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