
Daniel Poitras
[email protected]
After completing a Ph.D at the University of Montreal and EHESS (Paris), I'm doing a postdoctoral research at the University of Toronto. My areas of interest are the history of the students movements in Canada, France and the United States, epistemology of history, experiences of time of intellectuals, and the practice of transnational history. You can find more on my personal page at danielpoitras.net
Supervisors: Supervisor : Sean Mills
Address: Montréal
After completing a Ph.D at the University of Montreal and EHESS (Paris), I'm doing a postdoctoral research at the University of Toronto. My areas of interest are the history of the students movements in Canada, France and the United States, epistemology of history, experiences of time of intellectuals, and the practice of transnational history. You can find more on my personal page at danielpoitras.net
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Books by Daniel Poitras
avec un grand H. Un peu comme la sorcellerie et les envoûtements que
rencontraient les missionnaires chrétiens au Nouveau Monde, cette
Histoire nous apparaît étrange, irréelle, presque une superstition. Il est
tout aussi difficile d’imaginer que des peuples se sont mobilisés et que
des individus se sont et ont été sacrifiés en son nom. Né en 1980, l’année
de la mort de Jean-Paul Sartre et de l’échec du premier référendum sur
l’indépendance au Québec, je n’ai connu que cette période de l’après,
caractérisée par les discours sur les fins de toutes sortes : de l’idéologie,
de la modernité, de l’utopie, du projet socialiste, du projet indépendantiste…
Et j’ai bientôt découvert que l’après, ce serait en fait un maintenant
sans concession, un présentisme sur lequel fleuriraient les post
exacerbés – et pas seulement ceux sur les médias sociaux –, des univers
postapocalyptiques de nos productions culturelles.
Cette Histoire apparemment enterrée continue pourtant de hanter
notre époque, n’en déplaise aux prophètes des tribus postmodernes,
qui espèrent un réenchantement du monde grâce à un présent libéré
du futur. Les témoignages de cette hantise abondent ; il suffit de mentionner
les vagues continues de lamentations sur l’idée de progrès, les
essais sur la perdition dans le temps (qui va « trop vite »), les manuels
pour exalter le risque, les bilans dithyrambiques ou vitrioliques sur
les Trente Glorieuses, le regret du manque de politiques ambitieuses et « décomplexées », les promenades folkloriques dans les sixties, les élans
électoraux et postélectoraux envers ceux qui prophétisent les grandes
marches en avant, etc.
À moins que nous ne soyons déjà ailleurs, pris dans un enchaînement
impossible, pour le moment, à nommer ? Les débuts se lisent mal
et il est difficile d’être contemporain de son époque."
Papers by Daniel Poitras
De 1950 à 1963, un concours annuel particulier, le « Miss Quartier Latin », a eu lieu à l’Université de Montréal. L’objectif était d’élire l’étudiante idéale, celle qui allait représenter tout le campus et surtout, y répandre la bonne humeur. Je fais l’hypothèse que le concours, beaucoup plus qu’une activité frivole, mettait en fait en scène, à coup de représentations matérielles et de discours normatifs, l’exclusion des femmes de l’histoire. À l’Université, les étudiantes étaient maintenues dans un régime temporel différent, caractérisé par l’éternel féminin, ce qui autorisait leurs compagnons à les disqualifier comme agents historiques. Les étudiantes utilisèrent le concours pour répliquer, notamment en subvertissant les discours tenus sur elles. Elles ont ainsi réussi à créer des brèches dans les discours normatifs sur leur nature et à mettre en valeur les processus (ceux du développement personnel, ceux de l’histoire) qui ébranlaient le plafond de verre universitaire et ouvraient leur horizon d’attente. Mais ces efforts, s’ils ont éveillé des consciences, ébréché certains postulats sexistes et renversé momentanément les rôles, ont très peu retenus l’attention des historien.ne.s du mouvement étudiant, qui se sont pour la plupart concentré.e.s sur les leaders masculins et sur l’éthos volontariste et émancipateur qu’ils promouvaient. Ceci nous invite à réfléchir sur ces enchaînements qui ont fait des exclusions d’hier des angles morts aujourd’hui.
Abstract
From 1950 to 1963, an unusual contest was held at the Université de Montréal. The objective of the annual “Miss Quartier Latin” contest was to elect the ideal female student to represent the campus and, especially, to spread cheer all around. I argue that this event was much more than a frivolous activity or a beauty contest. In fact, it staged the exclusion of women from history through material setups and normative discourses on gender despite the rise of a student movement led by men who claimed to treat every student equally. At the university, women were held in what I call a different temporal regime characterized by myths such as the “eternal feminine” and which allowed men to disqualify women as historical agents. Despite this disqualification, women used the academic structures to their advantages by subverting the discourses on them and exposing the prejudices about their nature and limitations. To claim their historical agency, they highlighted the individual, academic and societal transformations that were taking place. While they succeeded in raising awareness and chipping away at sexist premises, their efforts did not draw the attention of historians of student activism who have mostly been concentrating their research on male leadership and their ethos of voluntarism and emancipation. There is a need to reflect on these past exclusions which have become historical blind spots.
L’émeute des tramways de 1955, qui a paralysé Montréal pendant toute une journée, demeure un épisode méconnu de l’histoire de la ville. Précédée par deux journées de manifestations, impliquant des étudiants et de jeunes « voyous », l’émeute a déclenché une série de réactions qui ont mis en lumière de quelle façon différentes autorités (municipales, journalistiques, universitaires) percevaient le rôle de la jeunesse et les dangers de la délinquance. La clémence accordée aux étudiants et la sévérité à l’égard des autres jeunes a révélé comment la « mauvaise conduite élitaire » des premiers était non seulement validée par les autorités, mais également au coeur de la reproduction de l’ordre social. Si les étudiants étaient partie prenante de cette reproduction, ils ont aussi utilisé l’émeute pour enclencher une série de réflexions, particulièrement à l’Université McGill et à l’Université de Montréal, sur l’autonomie universitaire et la nécessité de créer un mouvement étudiant élargi capable de canaliser l’énergie des parades estudiantines pour transformer les corps étudiants en acteurs de la scène municipale.
Abstract
Montreal’s 1955 Tramway Riot remains an unknown chapter of the city’s history. Preceded by two days of demonstrations, the riot paralyzed the city and caused significant property damage. It also brought together students and so-called young “hooligans” in the street, provoking various reactions from the municipal authorities, the press, and academics. Sympathetic with the “elitist bad behavior” of the students, these authorities harshly judged the other participants in the riot, revealing their hierarchical conception of the social order. Although students from the University of Montreal and McGill University shared in part this understanding, they also used the riot to trigger an important discussion about the autonomy and agency of the student body in the city. By appropriating urban space, showing the need for a wider student movement, and imagining a place for themselves in a different future, they became actors on the municipal scene.
L’une des organisations qui s’est le plus consacrée à l’accueil et au bien-être des étudiants étrangers au Canada s’appelait Friendly Relations with Overseas Students (fros). Active au cours des années 1950 et 1960, elle est devenue un symbole de l’ouverture et de la spécificité du Canada comme terre d’accueil en Amérique du Nord. Se consacrant à l’orientation, à l’accommodation et à l’intégration des étudiants étrangers, fros a construit de multiples ponts entre le Canada et le reste du monde. L’expérience du personnel et des étudiantes qui ont été impliqués dans l’organisation nous permet à cet égard d’approfondir notre compréhension de l’agentivité des étudiants étrangers et de la signification de leur trajectoire transnationale. Dans cet article, je me penche plus particulièrement sur le récit forgé par fros sur l’intégration des étudiants étrangers sur le campus de l’Université de Toronto et dans la société canadienne. Je démontre que ce récit promouvait les échanges interculturels et une forme de globalisme, et qu’il comprenait une dimension transformative puisqu’il cherchait à transformer les visions du monde et les conceptions de soi et de l’autre en abolissant les préjugés ethniques.
Résumé
L’action sociale étudiante est un chapitre largement inconnu de l’histoire des étudiants au Québec, qui ont surtout retenu l’attention pour leurs coups de gueule ou d’éclat. L’histoire des Travailleurs étudiants du Québec (TEQ) vient démentir cette représentation. Les TEQ (1964-1967) qui ont œuvré auprès des familles démunies, des ouvriers, des chômeurs et des jeunes de la rue dans des milieux s’étendant de Gaspé à Thetford Mines se voulaient éducateurs, animateurs sociaux et organisateurs communautaires. Ils cherchaient à susciter des prises de conscience citoyennes et à encourager des initiatives et des structures locales pouvant mener à une véritable société de participation. Dans cet article, je démontre de quelle façon l’Action sociale étudiante (ASE) québécoise opérait à partir de traditions (étudiantes, sociales et politiques) et se projetait dans le futur en réarticulant constamment son idéalisme et son pragmatisme. Pendant ses quatre ans d’existence, l’ASE a constitué un haut lieu de formation et de mobilisation pour plusieurs jeunes qui ont eu l’occasion de confronter un bagage universitaire largement livresque à la réalité du terrain de l’action sociale.
Abstract
We know relatively little about the social action projects led by Québécois students, better known for their political activism and dramatic gestures. The Travailleurs étudiants du Québec(TEQ)’s story contradicts this representation. Working with low-income families, factory workers, unemployed people, and street youth from all over the province, these students acted as educators and social organizers. Their goal was to raise awareness among citizens, generating local initiatives and establishing structures that could lead to a true participative society. In this article, I demonstrate how the Action sociale étudiante (ASE) emerged from different traditions (social, political, students’) and projected itself into the future through a precarious balance between its idealism and pragmatism. During its four years of existence (1964-1967), the ASE was an important organization for the forming and mobilization of many young people who had the opportunity to confront their scholarly knowledge to the realities of social action.
Mots-clés
étudiants étrangers, jeunesse, journal étudiant, interculturalisme, université, racisme
Abstract
The metics roar in the city
In this article, I study the impact which international students at the Université de Montréal had on the union, institutional and inclusion practices of particularly involved Quebec students, such as those active in the students association (the Association générale des étudiants de l’Université de Montréal, AGEUM) or the student newspaper Quartier latin. I show that in the face of international students, the AGEUM initially saw itself destabilized, following which it adopted a paternalistic approach to subdue those who questioned its status as spokesperson for students and youth. I then explore the strategies of international students to put forward their points of view and to take ownership of AGEUM’s mode of discourse and to participate in student politics through their own association, Cosmopolis. The latter, set up with the means at hand and informed by the many nationalities that compose it, established itself in only a few years’ time as a mouthpiece of AGEUM and sounding board, in Montreal, for issues that consumed the 1960s and 1970s, such as racism, decolonization, immigration, cultural integration and the place of Quebec in the Francophonie.
Keywords
international students, youth, student newspaper, interculturalism, university, racism
canadiens-français tout au long du XXe
siècle a été régulièrement constaté
par les chercheurs, qui se sont souvent appuyés, pour parvenir à cette
conclusion, sur l’isolement relatif des deux mouvements quant à leur militantisme
au cours des sixties1
. Cette focalisation sur l’activisme a cependant
fait ombrage à d’autres collaborations, comme celles entre les groupes étudiants
en vue de refaire le Canada et de repenser les relations entre anglophones
et francophones. Dans un contexte où le biculturalisme est érigé
en utopie mobilisatrice par une partie de l’élite intellectuelle, l’appropriation
du bilinguisme par les étudiants jette un nouvel éclairage sur plusieurs
enjeux comme une identité générationnelle en pleine construction2
,
l’appropriation des idéologies de type universaliste, le rapport des jeunes
au nationalisme, l’émergence du syndicalisme étudiant et les circulations
et réseaux de la jeunesse universitaire, qu’il s’agisse d’idées ou de personnes.
En me penchant particulièrement sur le cas du groupe étudiant de
l’Université de Montréal3
, et en examinant ses relations avec ceux du Canada
anglais, particulièrement celui de l’Université de Toronto, je vais
démontrer, en suivant le fil rouge (ou bleu…) du bilinguisme, comment
les relations entre ces groupes se sont déployées à trois niveaux: celui des
rencontres individuelles lors de week-ends d’échange, celui du journalisme
étudiant et celui des structures étudiantes nationales. Des balbutiements
bilingues au coin du feu dans un chalet à Sainte-Adèle à la mise en
place d’un système de traduction par"
Abstract • The historian Fernand Ouellet generated much debate with his thesis against the traditional historiography. Criticizing the focus on survival and culture, he envisioned a modernized, post national and reconciled with progress Quebec. The contributions of Ouellet toward scientific history are well documented, but less is known about the context of the elaboration of his thesis. Returning to his writing in the early sixties, we will demonstrate that his interpretation of history is tightly influenced by the historicity regime of modernization of that time. Rupture with traditions, promotion of rationality and economics, secularization, and openness to universal perspectives, were the indicators he put forth to understand the past. Focusing primarily on the first half of 19th century, Ouellet sought to demonstrate how French Canadians, because of their elites’ nationalism, were lead to the catastrophic Rebellions of 1837-38. In light of this, the historian warns his contemporaries of the danger of the national affirmation in the sixties, which in turn gives him new insights which help him explore the past differently. It is in this way that Ouellet comes to portray in a dystopian manner what could have been a Patriot Republic in the 19th and 20th centuries.
avec un grand H. Un peu comme la sorcellerie et les envoûtements que
rencontraient les missionnaires chrétiens au Nouveau Monde, cette
Histoire nous apparaît étrange, irréelle, presque une superstition. Il est
tout aussi difficile d’imaginer que des peuples se sont mobilisés et que
des individus se sont et ont été sacrifiés en son nom. Né en 1980, l’année
de la mort de Jean-Paul Sartre et de l’échec du premier référendum sur
l’indépendance au Québec, je n’ai connu que cette période de l’après,
caractérisée par les discours sur les fins de toutes sortes : de l’idéologie,
de la modernité, de l’utopie, du projet socialiste, du projet indépendantiste…
Et j’ai bientôt découvert que l’après, ce serait en fait un maintenant
sans concession, un présentisme sur lequel fleuriraient les post
exacerbés – et pas seulement ceux sur les médias sociaux –, des univers
postapocalyptiques de nos productions culturelles.
Cette Histoire apparemment enterrée continue pourtant de hanter
notre époque, n’en déplaise aux prophètes des tribus postmodernes,
qui espèrent un réenchantement du monde grâce à un présent libéré
du futur. Les témoignages de cette hantise abondent ; il suffit de mentionner
les vagues continues de lamentations sur l’idée de progrès, les
essais sur la perdition dans le temps (qui va « trop vite »), les manuels
pour exalter le risque, les bilans dithyrambiques ou vitrioliques sur
les Trente Glorieuses, le regret du manque de politiques ambitieuses et « décomplexées », les promenades folkloriques dans les sixties, les élans
électoraux et postélectoraux envers ceux qui prophétisent les grandes
marches en avant, etc.
À moins que nous ne soyons déjà ailleurs, pris dans un enchaînement
impossible, pour le moment, à nommer ? Les débuts se lisent mal
et il est difficile d’être contemporain de son époque."
De 1950 à 1963, un concours annuel particulier, le « Miss Quartier Latin », a eu lieu à l’Université de Montréal. L’objectif était d’élire l’étudiante idéale, celle qui allait représenter tout le campus et surtout, y répandre la bonne humeur. Je fais l’hypothèse que le concours, beaucoup plus qu’une activité frivole, mettait en fait en scène, à coup de représentations matérielles et de discours normatifs, l’exclusion des femmes de l’histoire. À l’Université, les étudiantes étaient maintenues dans un régime temporel différent, caractérisé par l’éternel féminin, ce qui autorisait leurs compagnons à les disqualifier comme agents historiques. Les étudiantes utilisèrent le concours pour répliquer, notamment en subvertissant les discours tenus sur elles. Elles ont ainsi réussi à créer des brèches dans les discours normatifs sur leur nature et à mettre en valeur les processus (ceux du développement personnel, ceux de l’histoire) qui ébranlaient le plafond de verre universitaire et ouvraient leur horizon d’attente. Mais ces efforts, s’ils ont éveillé des consciences, ébréché certains postulats sexistes et renversé momentanément les rôles, ont très peu retenus l’attention des historien.ne.s du mouvement étudiant, qui se sont pour la plupart concentré.e.s sur les leaders masculins et sur l’éthos volontariste et émancipateur qu’ils promouvaient. Ceci nous invite à réfléchir sur ces enchaînements qui ont fait des exclusions d’hier des angles morts aujourd’hui.
Abstract
From 1950 to 1963, an unusual contest was held at the Université de Montréal. The objective of the annual “Miss Quartier Latin” contest was to elect the ideal female student to represent the campus and, especially, to spread cheer all around. I argue that this event was much more than a frivolous activity or a beauty contest. In fact, it staged the exclusion of women from history through material setups and normative discourses on gender despite the rise of a student movement led by men who claimed to treat every student equally. At the university, women were held in what I call a different temporal regime characterized by myths such as the “eternal feminine” and which allowed men to disqualify women as historical agents. Despite this disqualification, women used the academic structures to their advantages by subverting the discourses on them and exposing the prejudices about their nature and limitations. To claim their historical agency, they highlighted the individual, academic and societal transformations that were taking place. While they succeeded in raising awareness and chipping away at sexist premises, their efforts did not draw the attention of historians of student activism who have mostly been concentrating their research on male leadership and their ethos of voluntarism and emancipation. There is a need to reflect on these past exclusions which have become historical blind spots.
L’émeute des tramways de 1955, qui a paralysé Montréal pendant toute une journée, demeure un épisode méconnu de l’histoire de la ville. Précédée par deux journées de manifestations, impliquant des étudiants et de jeunes « voyous », l’émeute a déclenché une série de réactions qui ont mis en lumière de quelle façon différentes autorités (municipales, journalistiques, universitaires) percevaient le rôle de la jeunesse et les dangers de la délinquance. La clémence accordée aux étudiants et la sévérité à l’égard des autres jeunes a révélé comment la « mauvaise conduite élitaire » des premiers était non seulement validée par les autorités, mais également au coeur de la reproduction de l’ordre social. Si les étudiants étaient partie prenante de cette reproduction, ils ont aussi utilisé l’émeute pour enclencher une série de réflexions, particulièrement à l’Université McGill et à l’Université de Montréal, sur l’autonomie universitaire et la nécessité de créer un mouvement étudiant élargi capable de canaliser l’énergie des parades estudiantines pour transformer les corps étudiants en acteurs de la scène municipale.
Abstract
Montreal’s 1955 Tramway Riot remains an unknown chapter of the city’s history. Preceded by two days of demonstrations, the riot paralyzed the city and caused significant property damage. It also brought together students and so-called young “hooligans” in the street, provoking various reactions from the municipal authorities, the press, and academics. Sympathetic with the “elitist bad behavior” of the students, these authorities harshly judged the other participants in the riot, revealing their hierarchical conception of the social order. Although students from the University of Montreal and McGill University shared in part this understanding, they also used the riot to trigger an important discussion about the autonomy and agency of the student body in the city. By appropriating urban space, showing the need for a wider student movement, and imagining a place for themselves in a different future, they became actors on the municipal scene.
L’une des organisations qui s’est le plus consacrée à l’accueil et au bien-être des étudiants étrangers au Canada s’appelait Friendly Relations with Overseas Students (fros). Active au cours des années 1950 et 1960, elle est devenue un symbole de l’ouverture et de la spécificité du Canada comme terre d’accueil en Amérique du Nord. Se consacrant à l’orientation, à l’accommodation et à l’intégration des étudiants étrangers, fros a construit de multiples ponts entre le Canada et le reste du monde. L’expérience du personnel et des étudiantes qui ont été impliqués dans l’organisation nous permet à cet égard d’approfondir notre compréhension de l’agentivité des étudiants étrangers et de la signification de leur trajectoire transnationale. Dans cet article, je me penche plus particulièrement sur le récit forgé par fros sur l’intégration des étudiants étrangers sur le campus de l’Université de Toronto et dans la société canadienne. Je démontre que ce récit promouvait les échanges interculturels et une forme de globalisme, et qu’il comprenait une dimension transformative puisqu’il cherchait à transformer les visions du monde et les conceptions de soi et de l’autre en abolissant les préjugés ethniques.
Résumé
L’action sociale étudiante est un chapitre largement inconnu de l’histoire des étudiants au Québec, qui ont surtout retenu l’attention pour leurs coups de gueule ou d’éclat. L’histoire des Travailleurs étudiants du Québec (TEQ) vient démentir cette représentation. Les TEQ (1964-1967) qui ont œuvré auprès des familles démunies, des ouvriers, des chômeurs et des jeunes de la rue dans des milieux s’étendant de Gaspé à Thetford Mines se voulaient éducateurs, animateurs sociaux et organisateurs communautaires. Ils cherchaient à susciter des prises de conscience citoyennes et à encourager des initiatives et des structures locales pouvant mener à une véritable société de participation. Dans cet article, je démontre de quelle façon l’Action sociale étudiante (ASE) québécoise opérait à partir de traditions (étudiantes, sociales et politiques) et se projetait dans le futur en réarticulant constamment son idéalisme et son pragmatisme. Pendant ses quatre ans d’existence, l’ASE a constitué un haut lieu de formation et de mobilisation pour plusieurs jeunes qui ont eu l’occasion de confronter un bagage universitaire largement livresque à la réalité du terrain de l’action sociale.
Abstract
We know relatively little about the social action projects led by Québécois students, better known for their political activism and dramatic gestures. The Travailleurs étudiants du Québec(TEQ)’s story contradicts this representation. Working with low-income families, factory workers, unemployed people, and street youth from all over the province, these students acted as educators and social organizers. Their goal was to raise awareness among citizens, generating local initiatives and establishing structures that could lead to a true participative society. In this article, I demonstrate how the Action sociale étudiante (ASE) emerged from different traditions (social, political, students’) and projected itself into the future through a precarious balance between its idealism and pragmatism. During its four years of existence (1964-1967), the ASE was an important organization for the forming and mobilization of many young people who had the opportunity to confront their scholarly knowledge to the realities of social action.
Mots-clés
étudiants étrangers, jeunesse, journal étudiant, interculturalisme, université, racisme
Abstract
The metics roar in the city
In this article, I study the impact which international students at the Université de Montréal had on the union, institutional and inclusion practices of particularly involved Quebec students, such as those active in the students association (the Association générale des étudiants de l’Université de Montréal, AGEUM) or the student newspaper Quartier latin. I show that in the face of international students, the AGEUM initially saw itself destabilized, following which it adopted a paternalistic approach to subdue those who questioned its status as spokesperson for students and youth. I then explore the strategies of international students to put forward their points of view and to take ownership of AGEUM’s mode of discourse and to participate in student politics through their own association, Cosmopolis. The latter, set up with the means at hand and informed by the many nationalities that compose it, established itself in only a few years’ time as a mouthpiece of AGEUM and sounding board, in Montreal, for issues that consumed the 1960s and 1970s, such as racism, decolonization, immigration, cultural integration and the place of Quebec in the Francophonie.
Keywords
international students, youth, student newspaper, interculturalism, university, racism
canadiens-français tout au long du XXe
siècle a été régulièrement constaté
par les chercheurs, qui se sont souvent appuyés, pour parvenir à cette
conclusion, sur l’isolement relatif des deux mouvements quant à leur militantisme
au cours des sixties1
. Cette focalisation sur l’activisme a cependant
fait ombrage à d’autres collaborations, comme celles entre les groupes étudiants
en vue de refaire le Canada et de repenser les relations entre anglophones
et francophones. Dans un contexte où le biculturalisme est érigé
en utopie mobilisatrice par une partie de l’élite intellectuelle, l’appropriation
du bilinguisme par les étudiants jette un nouvel éclairage sur plusieurs
enjeux comme une identité générationnelle en pleine construction2
,
l’appropriation des idéologies de type universaliste, le rapport des jeunes
au nationalisme, l’émergence du syndicalisme étudiant et les circulations
et réseaux de la jeunesse universitaire, qu’il s’agisse d’idées ou de personnes.
En me penchant particulièrement sur le cas du groupe étudiant de
l’Université de Montréal3
, et en examinant ses relations avec ceux du Canada
anglais, particulièrement celui de l’Université de Toronto, je vais
démontrer, en suivant le fil rouge (ou bleu…) du bilinguisme, comment
les relations entre ces groupes se sont déployées à trois niveaux: celui des
rencontres individuelles lors de week-ends d’échange, celui du journalisme
étudiant et celui des structures étudiantes nationales. Des balbutiements
bilingues au coin du feu dans un chalet à Sainte-Adèle à la mise en
place d’un système de traduction par"
Abstract • The historian Fernand Ouellet generated much debate with his thesis against the traditional historiography. Criticizing the focus on survival and culture, he envisioned a modernized, post national and reconciled with progress Quebec. The contributions of Ouellet toward scientific history are well documented, but less is known about the context of the elaboration of his thesis. Returning to his writing in the early sixties, we will demonstrate that his interpretation of history is tightly influenced by the historicity regime of modernization of that time. Rupture with traditions, promotion of rationality and economics, secularization, and openness to universal perspectives, were the indicators he put forth to understand the past. Focusing primarily on the first half of 19th century, Ouellet sought to demonstrate how French Canadians, because of their elites’ nationalism, were lead to the catastrophic Rebellions of 1837-38. In light of this, the historian warns his contemporaries of the danger of the national affirmation in the sixties, which in turn gives him new insights which help him explore the past differently. It is in this way that Ouellet comes to portray in a dystopian manner what could have been a Patriot Republic in the 19th and 20th centuries.
de dépaysement dans un folklore plus ou moins exotique. La façon
d’envisager ce passé et les représentations, emprunts et appropriations
qui en découlent sont au coeur de ce numéro de la Revue d’histoire de
l’Amérique française. Dans les articles qui suivent, ces « autres » sont les
révolutionnaires belges, la droite catholique mexicaine, l’institution de la
psychiatrie en France et aux États-Unis, les promoteurs de l’anglais comme langue universelle, les Franco-Américains et le maoïsme en Chine. Les auteurs de ce numéro thématique nous montrent comment les acteurs québécois reprennent à leur compte l’histoire d’ailleurs pour donner du sens au passé et au présent d’« ici »1. Plus largement, ces six contributions nous invitent à réfléchir sur la place faite au passé des autres à la fois dans l’historiographie et au Québec en général."
Les années d'ascension du nazisme et de la Seconde Guerre mondiale correspondent à une période charnière de l'histoire intellectuelle du Canada français. Face à une Europe sous tension, le Québec fut momentanément contraint de restreindre ses relations avec le Vieux continent et, corollairement, avec ses milieux savants, au premier chef avec la France, destination jusqu’alors privilégiée. Rapidement, l'Amérique états-unienne, devenue un refuge pour les arts, les lettres et les sciences du monde libre, s'imposera comme une alternative aussi crédible que prometteuse. Ce basculement dans le monde des idées sera décisif à plus d'un titre pour le Canada français, à commencer par l'itinéraire de ses intellectuels et hommes de science qui, de Pierre Elliott Trudeau à Guy Frégault en passant par Jean-Charles Falardeau, Guy Rocher, Luc Lacourcière, Raymond Breton, Roger Marier, Michel Brunet, Maurice Lamontagne, Maurice Tremblay, Marcel Trudel et plusieurs autres, ont fréquenté le sanctuaire convoité des campus américains pour y compléter leur formation supérieure et, dans certains cas, y accomplir un parcours intellectuel initiatique. Cette nouvelle proximité intellectuelle s'est également traduite par la venue, dans le Québec des années 1930 à 1960, de savants américains de renom tels Everett C. Hughes, Horace Miner, Jean Delanglez et Mason Wade. Elle allait ouvrir une nouvelle ère d'échanges et de sociabilité académique avec les milieux intellectuels et étudiants états-uniens, laquelle laissera sa marque dans une culture étudiante et universitaire québécoise en pleine expansion. Voilà autant de croisements et d'échanges avec une Amérique états-unienne conquérante qui invitent à repenser la fabrique du champ scientifique et intellectuel québécois en termes de transferts et de métissages, d’autant que nombre de ces intellectuels et étudiants furent des figures clés des réformes modernisatrices de la Révolution tranquille.
D’importants travaux ont abordé l'histoire de cette imprégnation du monde intellectuel américain sur les universitaires québécois (Fournier, 1986; Warren, 2003; Langlois, 2012; Michel, 2014 notamment). Cependant, il y a encore beaucoup à découvrir quant aux expériences de nos universitaires en sol américain, aux réseaux qu'ils ont fréquentés, aux transferts d'idées et de concepts qui en ont résulté, aux textes et aux ouvrages scientifiques qui ont circulé de part et d'autre de la frontière, aux représentations de l'Amérique que cette mobilité a suscitée ou encore au rôle des grandes fondations philanthropiques (Carnegie et Rockefeller) dans le développement des sciences canadiennes-françaises. Ces aspects évoquent un phénomène d’importance, qui suggère un espace transnational en mutation, fait d'une multitude d'acteurs, d'échanges et d'intérêts.
Ce numéro spécial de la revue Mens (Revue d'histoire intellectuelle et culturelle) entend poursuivre et approfondir ce chantier de recherche prometteur, en invitant les chercheurs de toutes disciplines à soumettre des propositions d'articles recoupant l'une ou l'autre des thématiques de recherche (non exclusives) suivantes, concentrées autour des décennies 1930 à 1960 :
1) Le séjour d'étude comme « expérience initiatique » : Qui sont les universitaires québécois et canadiensfrançais à avoir complété un séjour d'étude aux États-Unis? Par quels organismes et institutions ont-ils transité? Quelles trajectoires ont-ils suivies? Quels lieux ont-ils fréquentés et auprès de quels maîtres? Comment ont-ils vécu l'adaptation à l'environnement des campus américains et comment ont-ils investi leurs terreaux? Quelles furent les impressions ressenties? Dans quelles disciplines ces migrations intellectuelles ont-elles été les plus significatives? Quels réseaux transfrontaliers ces expériences dessinent-elles?
2) Les « retours d'Amérique » : À l'image des « retours d'Europe », pour décrire l'état des intellectuels québécois redécouvrant, après un séjour en France, leur société d'appartenance, peut-on parler de « retours d'Amérique »? Quelles similitudes et différences peut-on déceler entre les deux expériences? Comment ces séjours initiatiques en Amérique ont-ils transformé celles et ceux qui les ont accomplis? Quel décalage culturel s’en est-il suivi? Quelle acculturation disciplinaire s'est-elle opérée? Quels legs ces échanges ont-ils laissé sur le plan institutionnel?
3) Les échanges et transferts intellectuels entre le Québec et les États-Unis : En quoi cet engouement pour l'Amérique autour de la Deuxième Guerre mondiale implique-t-elle une mutation culturelle et intellectuelle dans l'espace des idées au Québec? En quoi les échanges et transferts ont-ils participé à la transformation des représentations des États-Unis au Québec? Quel est le poids du « détour américain » dans la constitution du champ intellectuel et scientifique québécois d'après-guerre? Quels modèles, systèmes de pensée et concepts ont été importés par suite de ce moment américain? Quelle empreinte canadienne-française les échanges et transferts ont-ils laissée aux États-Unis?
La première partie (« Classique et élitiste, le collège québécois? Programmes éducatifs et société ») porte sur les mutations des programmes éducatifs en fonction des mutations sociétales. Hudon explore (chapitre 1) l’attrait suscité par le cours économique au collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière au XIXe siècle, donnant un aperçu de la complexité des collèges, dont le recrutement et les programmes sont l’objet de vifs débats. À cet égard, le chapitre 2, véritable leçon d’histoire sociale, remet les pendules à l’heure. Hubert, à l’aide d’une enquête quantitative approfondie sur la provenance des élèves, déconstruit le cliché du collège homogène et démontre comment ce récit triomphant est une construction a posteriori. Dans le chapitre 4, il dévoile d’ailleurs l’importance du collège classique comme levier de promotion sociale pour différentes élites en compétition. Les programmes scolaires n’occupent en fait qu’une place secondaire dans ce livre. Ils servent cependant à mesurer les orientations idéologiques des collèges, comme les variations du grand débat entre l’éducation « utilitariste » (avec le cours commercial) et la formation « désintéressée ». Ces débats, qui traversent toute l’histoire des collèges, sont saisis à un moment charnière par Bienvenue, c’est-à-dire au début du XXe siècle où les frères enseignants, misant sur un enseignement plus pragmatique, affrontent un establishment défenseur de l’humanisme classique. Ce flottement dans l’orientation des collèges renvoie, ce que l’auteur rend bien, à un horizon ouvert où tout n’est pas joué d’avance. Comme tout bon livre d’histoire, celui-ci parvient à redonner au passé ses virtualités, notamment en révélant l’importance de l’accaparement des leviers éducatifs par certaines élites.
La deuxième partie (« L’espace collégien et ses occupants ») explore le rapport à l’espace et la sociabilité qui s’y joue. On alterne entre un regard historien panoptique et une approche intimiste. La condition des collégiens et des enseignants est scrutée au quotidien à travers la matérialisation des normes et de leurs contraintes – et parfois de leur braconnage. Si l’espace est étroitement surveillé, codifié et relativement à l’écart du monde, l’analogie avec le monde carcéral est excessive : entre les règlements et les pratiques, il y a un espace flottant. Après tout, lieu de formation de soi, le collège est un lieu d’attente pour une vie adulte nécessitant de futures élites à la fois accomplies et disciplinées.
La troisième partie (« La construction du masculin ») met en évidence les liens entre les courants du catholicisme et la construction du genre, tout en reprenant certaines questions laissées en suspens jusque-là, notamment celle, potentiellement contradictoire, de la nécessité de former des élites volontaires et la règle d’obéissance dans les collèges.
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Le choix du titre est excellent : Échos d’une mutation sociale; il prépare le lecteur à (re)découvrir les enjeux « sociaux » tels que traversés et réfléchis par le père Lévesque, davantage qu’une pensée théorique systématique. Comme nous prévient le préfacier Guy Rocher, la plupart des textes sont issus de conférences et d’allocutions, ce qui rend bien le style oratoire coloré du père Lévesque. C’est d’abord un penseur de l’action et un penseur dans l’action que ces textes nous font découvrir, au coeur de la société canadienne-française des années 1930-1960. Il est parfois difficile, du haut de notre société sécularisée, de revisiter ces textes sans y apposer nos grilles de lecture – laïcité/religion, et scientificité/croyance. Ce serait pourtant rater l’occasion d’explorer une expérience (scientifique et catholique) qui nous est à la fois familière et étrangère. Étrangère en raison de la prégnance de certains « mythes », comme celui de la mission catholique afin de conquérir l’Amérique du Nord – mais cette fois-ci par la science, la « compétence » et le travail social! (p. 124). Plus familière, ou du moins post-1960, par les mises en garde contre les « modèles importés » en sociologie et le « colonialisme social », qui participaient, pour G.-H. Lévesque, à ce qu’on appellera bientôt l’aliénation du Québec. La mise en évidence du particularisme québécois par rapport aux théories étrangères n’est pourtant pas repli frileux. On découvre au contraire des sources bibliographiques diversifiées, états-uniennes et européennes.
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Un enjeu susceptible d’intéresser les lecteurs de la revue Nouvelles pratiques sociales concerne l’intervention sociale, véritable ligne de fond de cette anthologie, dont les énonciations sont parfois déroutantes. Afin d’atteindre une « utilisation optimale des techniques d’action sociale » (p. 138), il faut des « experts » des questions sociales, mais plus « humanistes » que les « social workers » anglo-saxons. Poussant la doctrine sociale de l’Église jusqu’à sa limite, le père Lévesque actualise le vieil impératif de la « charité catholique » à travers la technique, grâce à la formation exigeante, empirique et théorique de spécialistes du « social ». Plutôt qu’à des « cas », le service social doit en fait s’attaquer à des « événements en marche » (p. 348). On est frappé par le dynamisme donné au service social, dont les « forces prodigieuses » entraînent un « élan collectif, rationnel, puissant et créateur » (p. 142). Les occurrences du mot « invention » et de l’adjectif « inventif », et la propension du père Lévesque à remettre en cause les acquis et les progrès pourtant tout récents du service social étonneront le lecteur qui s’attendait à découvrir une posture prudente et timide, pré-Révolution tranquille.
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Ces appels à l’invention et au dépassement constituent un autre itinéraire qu’on peut emprunter dans cette anthologie. Les rapports étroits entre l’École de service social et la Faculté que décrit G.-H. Lévesque constituent, à bien des égards, les prémices de la collaboration entre les chercheurs et l’État dans les années 1960. C’est à un véritable « apostolat de la compétence » que le père Lévesque invite, plusieurs des étudiants de la Faculté étant ceux-là mêmes qui pratiqueront un « apostolat laïc » au service de l’État dans les années 1960. L’un des textes importants s’intitule « Principes et faits dans l’enseignement des sciences sociales » (p. 102-109). S’y révèle une exigence plutôt positiviste, qui devait alors court-circuiter l’amalgame observations-normes qui minait l’appréhension de la « réalité ». Il s’agit de mener une sociologie selon les « méthodes propres à cette science », sans concession à quelque « préoccupation doctrinale » que ce soit, et ensuite seulement, de porter des « jugements de valeur », de façon à ne pas entacher l’objectivité de sa démarche scientifique (p. 107). Fondateur et défenseur acharné de la Faculté des sciences sociales de l’Université Laval, le père Lévesque en a aussi fait la chronique (p. 168-183). L’esprit militant et conquérant des premières années de la Faculté s’inscrivait dans un contexte tendu, où le père Lévesque devait ménager la doctrine sociale de l’Église et l’esprit scientifique qu’il promouvait. Les ruses et la souplesse de cet entrepreneur en sciences sociales témoignent bien, comme un microcosme, des tensions qui traversaient la société canadienne-française.
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Le scientisme convaincu qui émane de certains textes, où la science est chargée de guider l’humanité dans une marche où service social et sciences sociales jouent un grand rôle (p. 455-457), est balancé par la critique (anticipatrice) des dérives du système qui se met en place. L’une des ambivalences les plus marquées du recueil oppose la confiance inouïe dans les capacités de l’intervenant ou du « technicien » social et la critique institutionnelle de la « formidable machine » (p. 148) qu’est en train de devenir le service social, en proie à la « déshumanisation », et ce… en 1947! Plusieurs enjeux apparaissent aujourd’hui lointains, comme ceux gravitant autour des coopératives et de la « coopération » en tant que participation économique visant à pallier les excès du capitalisme. D’autres enjeux, au contraire, comme celui de la non-confessionnalisation des sciences sociales, éclairent le contexte et les tiraillements précédant la Révolution tranquille. La question de la « déconfessionnalisation » traverse d’ailleurs les textes de cette anthologie. La partie sur la théologie sociale fera découvrir au lecteur un autre volet de la pensée du père Lévesque, notamment la matrice thomiste et la théologie du développement (p. 234-242). Les textes postérieurs aux années 1960 ont moins d’intérêt.
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Les éditeurs font un bon travail de contextualisation dans leur « Introduction », substantielle et fouillée (72 pages), notamment pour les volets institutionnel et intellectuel, qui servent en quelque sorte de « caisse de résonance » aux textes du recueil proprement dit. Particulièrement, les éditeurs inscrivent bien la pensée du père Lévesque dans les courants sociologiques et théologiques occidentaux, avec lesquels il était constamment en dialogue. La collaboration, plutôt inédite, d’un sociologue (J.-F. Simard) et d’un théologien (M. Allard), même si elle aurait pu être mieux enchevêtrée, offre un double éclairage intéressant. Une étude de réception de l’oeuvre et du personnage est également esquissée, non sans visée apologétique.
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On aurait cependant apprécié des interventions plus soutenues des éditeurs en note de bas de page, pour éclaircir certains enjeux devenus obscurs aujourd’hui. L’introduction, truffée de longues citations puisées à même les textes présentés, aurait également pu être allégée. La dernière partie (« Politique sociale ») aurait quant à elle mérité une appellation plus large, ses articles clés traitant explicitement de la culture (p. 455-479). Enfin, la numérotation des textes aurait permis un repérage et des renvois plus rapides. Mais ces remarques n’enlèvent rien au travail des éditeurs. En bref, cette anthologie constitue, en plus de l’occasion de mesurer le chemin parcouru en intervention sociale depuis le milieu du xxe siècle, une invitation au lecteur à approfondir et à dépasser certaines dichotomies consacrées à propos de l’expérience de la recherche au Québec avant la Révolution tranquille.
Quels sont-ils, ces angles et ces thèmes ? Malgré un enchaînement qui évoque la tripartition braudélienne (territoires, économie, société), Stéphane Savard n’impose pas au lecteur une construction de la cave au grenier ; il prend plutôt soin de confronter les données brutes de l’infrastructure aux discours portés sur elle. Les magnifiques photographies qui accompagnent l’ouvrage, comme celle de la rivière Manicouagan déchaînée (p. 91), donnent le ton à cette odyssée québécoise qui s’amorce par la découverte et le développement des capacités de maîtrise de la nature. La conquête du Nord et l’ouverture du territoire caractérisent le chapitre 3 (« Les modes d’occupation de l’espace »), dans lequel S. Savard établit les balises symboliques géographiques qui lui serviront par la suite, notamment dans la partie suivante (« L’appel à la modernité »), où elles servent de tremplin pour construire et projeter une société moderne. Il s’agit bien sûr d’une certaine représentation de la modernité, que l’auteur remet habilement en jeu en considérant les stratégies utilisées pour promouvoir ici une identité, là un modèle sociétal, là une certaine inscription dans l’américanité. Les chapitres 4 et 5, sur l’économie et la technologie, ont une fonction pivot dans l’ouvrage : on y voit clairement le passage de l’idée de rattrapage (1944-1960) à celle de savoir-faire (1960-1980) à la remise en question, lors de la période allant de 1980 à 2005, des constructions symboliques précédentes.
La troisième partie (« Faire société avec ou sans l’Autre ») aborde plus directement les considérations sociales, identitaires et communautaires. Autour de la question « à quoi, à qui sert Hydro-Québec ? », S. Savard examine les divers contextes de réception des potentialités de l’hydroélectricité, du clérico-nationalisme des années 1950 misant sur le coopératisme, à l’instrumentalisation d’Hydro-Québec aux fins d’un Québec émancipé après la Révolution tranquille, jusqu’à la remise en question mémorielle de l’apparente unanimité des années 1960 par la suite. S. Savard étudie finement le travail sur la mémoire effectué pour solidifier les liens entre citoyens, et ce, au moment (la fin des années 1970) où l’on entre dans le présentisme. Les usages du passé, tout en fortifiant l’épopée hydro-québécoise et en générant des lieux de mémoire, renvoient de plus en plus à diverses options liées au pacte social et au rôle en devenir de la société d’État : se conformera-t-elle aux diktats du marché ? ; quel sens son apport à la collectivité prendra-t-il ?
S’appuyant principalement sur les débats de l’Assemblée législative ou nationale du Québec, l’historien cerne cette lutte des représentations dans l’arène parlementaire. Cette limite des archives était sans doute nécessaire pour un tel projet, mais elle n’en constitue pas moins l’angle mort du livre : jusqu’à quel point ces représentations et ces symboles sont-ils partagés par le « groupe de référence » (francophone) et les autres groupes au fil du temps ? Si la diversité de l’outillage méthodologique permet à l’historien de revitaliser des débats parlementaires souvent au seuil de la répétition ou du convenu, il n’évite pas toujours les longueurs et l’accumulation de citations qui font parfois tourner à vide le moulin des problématiques.
Éric Bédard et Xavier Gélinas, les directeurs, ont fait un travail impeccable pour ajouter, sans lourdeur, des notes informatives tout à fait appropriées, faisant de ce recueil d’éditoriaux un véritable livre d’histoire, à la fois témoignage sur le vif et source d’informations. Quelques-uns des enjeux abordés par Lévesque ont vieilli, bien sûr, comme les nombreux débats autour de l’assurance-maladie ou les conflits syndicaux de l’époque, mais la plupart des billets ont encore un vif écho aujourd’hui. Ce qui m’a frappé dans ces éditoriaux, c’est la préoccupation constante de Lévesque à l’égard du progrès du Québec et de sa maturation. Resterons-nous des « demi-civilisés » ? (p. 102) demande-t-il à tout bout de champ.
On s’attendrait à trouver des plaidoyers sur la différence culturelle du Québec, sur son identité, mais c’est bien le problème économique – particulièrement pour les années 1966-1967 – qui est mis de l’avant, « le plus fondamental », celui sur lequel les rêves « se brisent trop souvent » (p. 123). Question de date, bien sûr : Lévesque participe à fond à cet horizon d’attente prométhéen incarné et légitimé par les prouesses de la Révolution tranquille dont il a été un artisan.
En relisant ces articles, on se trouve de plain-pied dans un des paradoxes les plus intrigants de la fin des sixties : comment combiner la folle accélération du temps et sa maîtrise par l’action politique ? Lévesque multiplie les oxymorons pour résoudre et parfois exorciser ce paradoxe. Mais cette « course terriblement lente » du Québec sur le chemin du progrès – à moins qu’il ne s’agisse d’un « sommeil tranquille » ? (p. 265) – semble à tout moment sur le point de verser tour à tour dans l’utopie ou la dystopie.
C’est que Lévesque est aussi vigile de la survivance positive : la dénatalité, l’assimilation massive des immigrants à l’anglais, l’américanisation des médias québécois, la privatisation, l’inquiètent. Parfois, soupire-t-il, ça sent « le suicide collectif à plein nez » (p. 264). Toujours à l’affût des associations entre des thèmes éloignés pour mieux cerner le Québec, Lévesque ne lésine pas sur les rapprochements, puisant volontiers dans les thèmes de la décolonisation et de la contre-culture. La détestation de soi dont parlait Malcom X à propos des Noirs aux États-Unis n’évoque-t-elle pas celle des Québécois, ces Nègres blancs d’Amérique (p. 329) ? Mais si Lévesque laisse libre cours aux envolées verbales, il se méfie des extrémismes de tout acabit ; il a des mots très durs, après l’événement des taxis et la grève des policiers en 1969, pour les révolutionnaires québécois, nostalgiques du corporatisme ou rêvant à la démocratie directe (p.
L’introduction coécrite par David Niget et Martin Petitclerc, d’emblée, ne tient pas de ces textes vagues, inutiles ou laudatifs précédant d’ordinaire les livres collectifs : elle est au contraire exigeante, réflexive, mordante, inspirante. Si elle parvient à saisir le non-spécialiste sur le vif, c’est qu’elle le met en jeu comme chercheur et comme contemporain. Après tout, le « risque », en plus d’être un objet de recherche – au vrai difficile à circonscrire, admettent les contributeurs –, concerne aussi nos pratiques quotidiennes et nos choix collectifs. Penser le risque, c’est penser l’histoire et se penser dans l’histoire. Avec ce doublon en filigrane, l’introduction ouvre à l’histoire du risque en posant ses enjeux scientifiques et ses approches, mais, ce faisant, elle rappelle constamment que les choix méthodologiques et épistémologiques ne sont pas innocents : ils renvoient à des visions du monde et à des projets de société. Cet entremêlement, qui fait office d’ancrage contemporain de l’histoire du risque, est au final stimulant et pourrait servir d’inspiration à bien des champs de recherche qui répugnent à se penser au croisement du passé et du présent.
Une fois l’introduction traversée, la question de la coagulation demeure : qu’est-ce qui fera tenir le tout ensemble ? Par quelque coïncidence (ou tour de force des directeurs), deux constantes apparaissent rapidement : la réflexion sur le « risque » en fonction d’objets particuliers, bien sûr, mais aussi, et de façon plus étonnante venant d’historiens, la prise en compte des (et la confrontation aux) théoriciens du risque, comme U. Beck, A. Giddens, F. Ewald, M. Douglas et M. Foucault. Connecteur imprévu, cette prise en compte permet une traversée historiographique et épistémologique éclairante, en posant chaque fois la spécificité du traitement historien. Il en résulte une série d’opérations visant à contrecarrer la perspective d’une objectification ou d’une naturalisation du risque, soit en brassant certaines périodisations consacrées depuis le Moyen Âge – avec la vieille paire tradition/ modernité –, soit en décortiquant les amalgames négligeant les appropriations sociales différenciées du risque.
À la question « les risques existent-ils en soi ? », les contributeurs répondent tous : non, ils sont construits. Pour nommer cette posture scientifique, les directeurs proposent la bannière d’une « histoire culturelle du risque », afin de balancer l’approche « objectiviste ». Notons en passant qu’il est fascinant de voir le « culturel » mobilisé une nouvelle fois, après les combats menés en son nom contre l’économisme et le sociologisme dans les années 1960 et 1970. Ce n’est sûrement pas une coïncidence : on sait qu’au tournant des années 1960, la fascination face aux processus dits « objectifs » de la modernité (comme la croissance économique) impliquait l’adhésion à des « forces » extérieures aux contemporains, avec pour horizon d’attente une société d’abondance, de liberté, de culture et de loisir. D’une façon semblable, certains récits sur la « société du risque » aujourd’hui peuvent facilement être utilisés pour justifier un Brave New World de type néolibéral, où l’État-providence est instrumentalisé au seul profit de la sécurité des individus, solidarisés abstraitement à travers la collectivisation des assurances.
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Autour des origines de l’acceptation de l’art abstrait au Québec, particulièrement dans les années 1940, Warren pratique une histoire des idées qui déborde, heureusement, vers l’histoire et la sociologie de l’art, mises en relation à partir de l’itinéraire philosophique, artistique et professionnel de Borduas. Comme dans ses autres livres, Warren excelle à inscrire les « idées » dans des expériences, dont le faisceau constitue une sorte de caisse de résonnance qui fait réverbérer le cas de l’art vivant (et abstrait) sur des enjeux moraux, pédagogiques, culturels et intellectuels. L’affaire va bien au-delà des considérations esthétiques. La réception de l’art abstrait lui sert de truchement pour comprendre la situation du Canada français entre le « repli » et l’« ouverture », entre l’« ici » et l’« universel ». L’art folklorique de l’entre-deux-guerres, avec le pittoresque des campagnes et la valorisation nationale, est combattu en fonction d’une nouvelle sensibilité et d’un rapport neuf de l’individu à l’univers. Si en peinture la réalité positive, à imiter passivement, apparaît insuffisante, c’est qu’il y a autre chose. Warren esquisse finement cet horizon d’attente, en historicisant la charge sémantique des mots, comme « abstrait », plus susceptible de connecter aux réalités sensibles que le « réalisme ». L’art pour l’art et le puissant syntagme art vivant deviennent, pour certains, des étendards afin de résister à l’inféodation de l’art au provincialisme, à la morale de sacristie et au repli frileux sur le passé.
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En croisant habilement les corpus (surtout chrétiens) sur les théories de l’art, et les témoignages et correspondances des protagonistes, Warren révèle les liens entre les intellectuels progressistes catholiques et le groupe de Borduas. C’est l’un des grands apports du livre, qui brouille les frontières et redessine l’espace des rapports sociaux entre laïques et clercs, en malmenant le mythe d’un clergé unilatéralement opposé aux automatistes. Les justifications métaphysiques et éthiques de Borduas se prêtaient d’ailleurs bien au malentendu : malgré son athéisme, n’était-il pas aiguillonné par une « mystique » et une quête d’absolu, n’attendait-il pas une régénération intégrale devant extirper les individus du prosaïsme ? Au cours des retrouvailles que propose Warren, des personnages fascinants apparaissent, comme Jean-Marie Gauvreau, le directeur visionnaire de l’École du Meuble, et le père Couturier, critique d’art en butte aux canons de l’époque. En fait, jusqu’à la publication du Refus global en 1948, le « compagnonnage » de Borduas et des « catholiques éclairés » était viable, autre façon pour Warren de malmener l’idée d’une trajectoire univoque et irrésistible de mouvement automatiste.
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Mais le lecteur découvre rapidement que le brouillage préalable des catégories sociales met en fait la table pour une nouvelle polarisation, celle entre défenseurs et critiques de l’art abstrait – nouveau baromètre de la « modernité ». Le front a changé, mais le combat se poursuit entre un Canada français en marche et ce qui le tire en arrière. Warren n’épargne pas les étiquettes pour distinguer les deux groupes. Le pauvre Lionel Groulx est épinglé pour sa « philosophie traditionnaliste » (p. 68), rangé avec les « individus plus conservateurs » (p. 124), qui ne lésinent pas sur les « basses tactiques », particulièrement le directeur de l’École des Beaux-Arts de Montréal, Charles Maillard, véritable anti-héros de l’ouvrage. Pour illustrer le caractère tragique de l’aventure de cet avant-garde, fallait-il mettre en scène une « arrière-garde néfaste » (p. 134), et se demander qui a « défendu la modernité davantage » (p. 103) ? C’est la limite du beau livre de Warren, comme si l’auteur se laissait happer par l’aventure automatiste en adhérant à son expérience aux discours de ses sympathisants, face auxquels il se distancie pourtant, mais de façon inégale. À l’occasion, les mises en contexte, plutôt que de créer un jeu critique entre l’auteur et ses objets, renforcent la nécessité du parcours, sinon de la vocation, de Borduas.
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Le premier chapitre contribue à l’étude des influences françaises au Canada français, qui fournissent largement la matière pour les combats (automatistes et catholiques) à venir. Jacques Maritain apparaît plus décisif qu’André Breton, duquel se réclamait Borduas. Le troisième chapitre trace l’évolution, d’un point de vue pédagogique et esthétique, de l’École du Meuble, où étaient valorisés le juste trait, la répétition et l’imitation, afin de former une « pensée ferme et claire ». L’arrivée de Borduas en 1937 devait graduellement malmener les postulats d’une telle formation, le nouveau professeur cultivant chez les élèves la confrontation aux oeuvres afin de susciter « l’expression intégrale de leur subjectivité » (p. 118). Le quatrième chapitre aborde le phénomène messianique de l’Artiste comme guide. On y découvre un Borduas intransigeant et tout entier à sa quête, sévère avec ses proches. C’est l’occasion d’une sociologie des itinéraires artistiques à travers les rencontres, les lieux et les exils de cette petite avant-garde, convaincue de porter un message sous l’égide du maître.
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La réception mitigée du Refus global lors de sa publication en 1948 correspond au congédiement de Borduas, qui n’est pas pour autant devenu, du jour au lendemain, un paria. L’Union nationale parrainait d’ailleurs l’année suivante l’une de ses expositions ! Mais le malentendu allait rapidement déraper entre Borduas, de plus en plus ferme dans son anticléricalisme, et les catholiques éclairés. Dans cet essai original, fouillé et illustré de plusieurs tableaux du peintre, J.-P. Warren multiplie les angles d’approche et nous met en contact avec l’expérience des contemporains passés, entraînant le lecteur dans un dépaysement fécond.
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Le texte de loin le plus riche est celui de Marc Angenot (« Portrait d’Yvan Lamonde en historien des idées »). Retrouvant les jalons de l’oeuvre de l’historien et évoquant son rôle dans la difficile quête de légitimité de l’histoire des idées au Québec, Marc Angenot précise l’utilisation des « idées » par Lamonde dans les divers champs qu’il a parcourus : histoire culturelle, histoire de l’imprimé et de la lecture, histoire des intellectuels et de la vie intellectuelle. Marc Angenot n’hésite pas à questionner – sans complaisance – l’oeuvre de Lamonde. Il propose notamment des distinctions intéressantes entre diverses approches de l’histoire des idées. Celle pratiquée par Lamonde concevrait l’histoire sociale des idées comme devant cerner une société dans une époque pour y trouver la circulation et l’appropriation des idées, son imaginaire social, ses projets collectifs, etc. À l’autre bout du spectre, une autre approche, plus foucaldienne et « sobrement désenchanteresse » (p. 23), miserait sur les « structures » discursives d’une société ou d’une époque.
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Pour sa part, Michel Biron, dans son analyse du parcours d’une idée (la « fatigue culturelle ») depuis Hubert Aquin, explore un paradoxe québécois : le thème de la fatigue culturelle est pour l’historien un truchement pour des combats, alors que pour l’écrivain, « elle naît du fait que le monde réel lui est refusé », comme si l’histoire politique et l’histoire littéraire se contredisaient (p. 52). De son côté, Jonathan Livernois rappelle l’oeuvre journalistique – à distance des événements – de Lamonde, qui a rendu compte de nombreux livres d’histoire dans Le Devoir. C’est ici un autre relais de la vocation civique de l’historien, de plain-pied dans les enjeux sociétaux et mémoriels de sa collectivité. Dans sa contribution, Bernard Andrès s’attarde au traitement de l’américanité et des nationalismes chez Lamonde, en rappelant les grandes lignes de son engagement civique autour des débats sur la laïcité.
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Malgré les levées de chapeau et les accolades prévisibles dans ce genre d’exercice, les textes de cette partie ne sombrent pas dans la complaisance, contrairement à la partie « Témoignages ». Le texte d’André Lussier, particulièrement laudatif, est exemplaire à cet égard. La contribution de Gérard Bouchard n’échappe pas à cette règle ; elle livre d’ailleurs plusieurs indices pour saisir la mécanique de l’hommage dans la tribu des historiens. Lamonde a effectivement respecté les trois conditions, selon G. Bouchard, d’un historien accompli : un patient labeur (sinon un ascétisme) à l’égard de l’archive, une influence institutionnelle rayonnant jusqu’à l’international ainsi qu’un engagement civique et une prise de parole publique.
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Le dernier texte est de Lamonde lui-même, intitulé « Les mots et le récit à obstacles du conteur d’histoire ». Il s’attarde à l’apparition, depuis quinze ans, d’un nouveau type d’acteur public, l’« historien intellectuel ». Tiraillé entre les attentes des pairs et un public plus étendu, l’historien doit se demander : « comment faire passer le passé ? ». Et comment parvenir à ne pas inféoder l’art du récit – ce puissant vecteur de diffusion de l’histoire – au seul déploiement de l’argumentaire ? Faisant preuve de réflexivité, Lamonde retrace quelques clefs de ses mises en intrigue dans ses ouvrages passés, invitant ainsi ses pairs à assumer davantage les tenants et les aboutissants de leur pratique.