Papers by Florian Couveinhes

Contrairement à ce qui est généralement affirmé en doctrine, ce qui fait l’unité et la cohérence ... more Contrairement à ce qui est généralement affirmé en doctrine, ce qui fait l’unité et la cohérence du droit international économique, tel qu’il est couramment entendu depuis les années 1990, n’est pas son objet – qui serait par exemple les transactions économiques transnationales – mais son idéologie, c’est-à-dire une certaine idée de ce que doivent être l’économie transnationale et son droit. Plus précisément, l’unité et la cohérence de la matière, telles que la plupart des acteurs se la représentent depuis cette époque, tiennent à une conviction quant à la finalité ultime des opérations économiques transnationales, qu’elles soient publiques ou privées, et des moyens par lesquels le politique, à travers ces opérations, peut efficacement atteindre cet objectif.
On peut distinguer deux niveaux de finalités du droit international économique tel qu'il est ainsi étroitement entendu :
1. à un premier niveau, une finalité très générale et abstraite qui est le développement ou la croissance économique du monde entier – un monde pensé, à travers ces formules, comme sans frontière, sans inégalité et sans rapport de force donc sans problème de répartition, un monde aussi pensé comme un cadre vide plutôt que comme un environnement vivant et fragile ;
2. à un second niveau, une série de finalités très concrètes et de court terme : la sécurité juridique des investisseurs transnationaux, la protection de leurs capitaux et globalement la garantie juridique des pouvoirs des dirigeants des grands acteurs économiques face aux législations nationales.
RECENSION – VERS LA REDIRECTION ÉCOLOGIQUE DU DROIT ÉCONOMIQUE, 2024
Un ouvrage dirigé par Aude-Solveig Epstein et Marie Nioche, relatif aux possibilités de « transit... more Un ouvrage dirigé par Aude-Solveig Epstein et Marie Nioche, relatif aux possibilités de « transition » que recèle le droit économique – dans ses différentes branches, ici et ailleurs, hier et aujourd’hui – est une contribution majeure à la réflexion sur un thème qui devrait tarauder tous les juristes préoccupés par la transition écologique.

La transition écologique et l’enseignement de nouvelles disciplines juridiques écologico économiques, 2023
Ecological transition calls into question well-established disciplinary boundaries. More particul... more Ecological transition calls into question well-established disciplinary boundaries. More particularly, it challenges the division between environmental law and economic law, or between the former and the various branches of the latter. Law teachers must address this challenge, and this means developing new courses and textbooks. These courses and textbooks need to go beyond the dogma of 'mutual support' and face up to the key problem that the rules of economic law are likely to prevent environmental law from achieving its objectives, and vice versa.
Le sujet de la transition écologique remet en cause les catégories disciplinaires établies. Dans le domaine du droit, c’est particulièrement le cas de la division entre droit de l’environnement et droit économique, ou entre le premier et les différentes branches du second. Du point de vue de l’enseignement, répondre à cette remise en cause impose d’élaborer des cours et manuels nouveaux, dépassant le dogme du « soutien mutuel » et faisant face au problème fondamental qui est que les règles du droit économique sont susceptibles d’empêcher le droit de l’environnement d’atteindre ses objectifs, et vice-versa.
Introduction, 2023
This special issue compiles the majority of contributions to a symposium on the ecological transi... more This special issue compiles the majority of contributions to a symposium on the ecological transition and the teaching of economic law. It is part of an ambitious research project on the ecological transition of economic law. Intended to initiate a debate, it explores ways of renewing the content and methods of teaching economic law today and move away from a still too disciplinary approach in the face of an issue that has become largely cross-cutting.

(avec Mathieu Burnay), « L’accord global sur les investissements entre l’Union européenne et la Chine, révélateur du futur incertain du droit européen de l’investissement », in R. Maurel (dir.), Nouveaux regards sur le droit européen des investissements, LexisNexis, 2023, pp. 431-450, 2023
Le lancement, en 2012, de la négociation d'un accord global sur les investissements (AGI) entre l... more Le lancement, en 2012, de la négociation d'un accord global sur les investissements (AGI) entre l'UE et la Chine constituait un tournant à maints égards, laissant augurer une évolution des relations sino-européennes et celle de la politique européenne en matière d'investissement. La conclusion de l'accord en 2020 surprit, dans la mesure où l'humeur était à la morosité. Mais il fût immédiatement critiqué et sa mise en oeuvre fût bloquée dès le début de l'année 2021, par des tensions entre les deux partenaires. L’accord négocié est désormais dans l’impasse. Malgré son idiosyncrasie et la spécificité des raisons du blocage de sa ratification, cet accord et son enlisement peuvent être compris comme un révélateur du futur incertain du Droit international « classique » de la protection des investisseurs, et plus encore du Droit européen des investissements, dans un monde où ce Droit est de plus en plus contesté et où les affrontements idéologiques s’accroissent. Afin d’illustrer cette idée, nous soulignons l’absence de mécanisme de protection des investissements dans l’AGI tel qu’il a été conclu en décembre 2020 (première partie), la difficulté dont l’accord témoigne d’intégrer, dans les relations externes de l’UE, les dimensions « développement durable » et « droit de réglementer » jugées indispensables par les populations européennes et leurs parlementaires (deuxième partie), et la tension de plus en plus grande entre l’adoption d’accords de libéralisation des investissements tels que l’AGI, et la mise en place d’instruments de fléchage ou de filtrage des investissements (troisième partie).

“L’absence” du Parlement dans les procédures conventionnelles françaises : un déficit démocratique répandu mais pouvant être comblé , 2022
L'article montre que les parlementaires français, tout comme les juges et les citoyens français, ... more L'article montre que les parlementaires français, tout comme les juges et les citoyens français, n’ont globalement aucune influence substantielle sur le contenu des traités, sur celui des réserves émises par l’exécutif, sur la décision de se retirer d’un traité et même, contrairement aux apparences, sur l’engagement définitif de l’État à le respecter. La régression des procédures « conventionnelles » françaises très en-deçà des exigences démocratiques requises pour les procédures constituantes et législatives « ordinaires », s’explique par les règles et (dés)équilibres institutionnels choisis lors de l’établissement de la Vème République, mais également par l’accentuation de ces déséquilibres, sur le point qui nous intéresse, dans la période contemporaine (première partie). Or si la faiblesse du Parlement dans les procédures « conventionnelles » françaises n’est pas originale, l’accentuation contemporaine de cette faiblesse, autrement dit la dérive autoritaire des procédures « conventionnelles » internes est isolée, à contre-courant, et à l’origine d’effets particulièrement délétères. L'article soutient donc qu'il est urgent de s’inspirer de procédures plus démocratiques adoptées et appliquées dans d’autres États ou dans l’Union européenne, présente ces alternatives et propose sur cette base une série de révisions possibles de la Constitution française (deuxième partie).
Revue Générale de Droit International Public, 2016

Le statut des étrangers en Chine (1912) « Mitsuhirato espion japonais impliqué dans le trafic d'... more Le statut des étrangers en Chine (1912) « Mitsuhirato espion japonais impliqué dans le trafic d'opium : … Tintin se trouve à Hou Kou, en ce moment… Eh bien, je voudrais que vous le fassiez arrêter !... Dawson chef de la police de la concession internationale de Shanghai : L'arrêter ?... A Hou Kou ?... Mes pouvoirs, vous le savez, sont limités à la concession internationale. Mitsuhirato : Bien sûr, mais croyez-vous que la Sûreté chinoise vous refuserait l'autorisation de poursuivre un Européen, même en dehors de la concession ?... Dawson : Non évidemment… … » 1. 2 Pour des raisons pratiques, on considérera ici comme « occidentaux » les Etats d'Europe, la Russie et les Etats-Unis d'Amérique. Même s'il s'occidentalisa rapidement sous la pression des « autres Occidentaux », le Japon constitue largement un cas à part, de même que sa situation vis-à-vis de la Chine (le Japon dut lui-même reconnaître des concessions sur son territoire et n'en établit en Chine qu'après les autres). Il n'est donc pas compris ici comme « occidental ». Japon allait prendre et occuper Tsingtao (à l'origine de la fameuse bière), dans la baie de Kiaochow, ainsi que le chemin de fer et les mines.

Droit international (public)/Droit des gens/Droit public de l'Europe
L'appréciation du caractère... more Droit international (public)/Droit des gens/Droit public de l'Europe
L'appréciation du caractère européen du Droit international d'hier ou d'aujourd'hui diffère suivant qu'on le rattache ou le détache de deux notions qui, sans s'identifier à lui, lui sont historiquement liées : le Droit des gens (jus gentium) et le Droit public de l'Europe. Si on rattache le Droit international actuel au jus gentium, il est évident qu'on lui trouve une racine essentiellement romaine et médiévale européenne. D'un autre côté, le jus gentium a partie liée, d'une part, avec le Droit international actuel et, d'autre part, avec l'histoire du Droit des gens en Europe. D'abord, la jurisprudence internationale passée et actuelle se réfère fréquemment à des règles, maximes et arguments tirés du jus gentium et plus largement du Droit romain. Ensuite, c'est à partir de débats sur le Droit naturel et sur le rapport du jus gentium à ce dernier que seront fixés, grossièrement du XVI e au XVIII e siècle, les contours et le contenu du Droit des gens reconnu par les États européens. Dès l'origine en effet, des débats ont opposé les jurisconsultes et théologiens de l'Europe sur la question de savoir si le jus gentium devait être identifié à la droite raison ou au Droit naturel (c'est la position de Gaïus au II e siècle avant Jésus-Christ, de Cicéron au I er , mais aussi celle d'Hugo Grotius au XVIIe siècle), si on pouvait au contraire le réduire à un Droit seulement arbitraire ou positif (cette opinion n'a cependant quasiment pas été endossée de manière explicite avant le XVIIe siècle), ou si une place spécifique devait être attribué au Droit des gens entre le Droit naturel et le Droit civil ou positif, ce qui constitue finalement peut-être l'opinion la plus fréquemment admise dans le temps. Au XVI e siècle, c'est à partir d'un débat théorique similaire que sont appréhendées les questions nouvelles que fait jaillir la découverte des « Indes ». Faut-il estimer avec Juan Ginés de Sepúlveda qu'au-delà des mers, le traitement des « Indiens » (en particulier la nécessité de les payer pour leur travail) ou l'appropriation de leurs terres doivent être déterminés à partir de l'autorité de fait s'exerçant actuellement sur eux, ou encore à partir des effets temporels de la bulle papale Inter Caetera (dans ce cas, le Droit des gens est un Droit positif), ou faut-il plutôt penser, avec Francisco Vitoria, que des règles et limites de raison universellement admissibles et universellement applicables s'imposent au pape comme à la couronne et aux conquistadors espagnols, de sorte qu'ils ne peuvent s'appuyer sur la distance ou sur une impunité de fait pour spolier, asservir ou même convertir de force les Indiens (le Droit des gens est alors un Droit naturel) ? Dans le même ordre d'idées, le XVIIe siècle voit non seulement s'opposer les jurisconsultes sur des questions théoriques relatives à la nature du Droit naturel (est-il la Raison elle-même, comme le dit Hugo Grotius, ou y accède-ton seulement par la Raison comme le pense Samuel Pufendorf ?), mais aussi sur des questions pratiques liées à ces désaccords fondamentaux.

Pour un Etat, établir ou reconnaître la compétence d'une juridiction internationale n'est pas sec... more Pour un Etat, établir ou reconnaître la compétence d'une juridiction internationale n'est pas secondaire : une telle décision constitue un choix quant à la manière dont cet Etat décidera à l'avenir de ses relations extérieures ou même intérieures, donc quant à sa forme et ses limites en tant qu'Etat souverain. Comme dans un miroir, la politique menée par une juridiction vis-à-vis d'un Etat qui reconnaît sa compétence (ou même, parfois, d'un Etat tiers) la définit largement comme juridiction : cette politique contribue à définir son rôle et affecte la manière dont elle sera perçue, admise ou rejetée par les Etats. De là une ambivalence fondamentale des politiques croisées des Etats et des juridictions internationales : d'un côté, les juridictions tirent formellement leur autorité des Etats, qui sont aussi ceux qui déterminent leur composition, leurs bases de compétence, la procédure qu'elles doivent suivre, ou encore, en principe, si telle ou telle personne physique ou juridique (y compris l'Etat lui-même) sera soumise à sa compétence ; d'un autre côté, les juridictions internationales énoncent quels sont les devoirs juridiques de ces Etats, et il n'est pas rare qu'elles interprètent leur statut ou le Droit applicable aux Etats de manière « extensive », c'est-à-dire, au fond, d'une manière relativement indépendante de ce que souhaitent ou souhaitaient les Etats ou certains Etats.
How should China react to the rapid and drastic change in US foreign trade policy towards the Pac... more How should China react to the rapid and drastic change in US foreign trade policy towards the Pacific region and China? What was the previous US strategy and what is the current one? Is this new strategy merely part of a global policy of withdrawal from multilateral institutions and multilateral rules of the “liberal global order”? And finally, how should China understand this situation and respond to the consequential weakening of the international legal order?
I offer some possible answers to these questions, and try to shed light on the very specific situation in which the international legal and institutional order has been plunged for the past ten years, and to an even greater extent for the last two and a half years.

The project to establish a multilateral court for the settlement of investment disputes, promoted... more The project to establish a multilateral court for the settlement of investment disputes, promoted by the European Commission, the Council of the European Union and Member States, is not based on a demand on the part of European citizens, rather it represents a response to their clear opposition to investment arbitration. Nevertheless, both the substance of the project and the forum chosen for negotiations demonstrate that national and European authorities have understood and accepted the most legitimate criticisms of the standard form of investment arbitration. While there is therefore an objective convergence of views, the initial conflict between the European political class and European populations, as well as current disagreements between various States worldwide, make it difficult to establish the planned multilateral court. Moreover, its innovative, ambitious nature places it in direct competition with the ICSID system. However, this also means that, although a coordinated relationship is technically feasible, implementation of the plan for the multilateral court would introduce a real political alternative to the current dominant system for the settlement of investment disputes.
Le projet de Cour multilatérale d’investissements promu aujourd’hui par la Commission européenne, le Conseil de l’Union européenne et les gouvernements des Etats membres n’a pas pour origine une demande des citoyens européens, mais au contraire l’expression nette de leur refus de l’arbitrage d’investissements. Toutefois, tant le fond du projet que l’enceinte choisie pour le discuter montrent que les autorités nationales et européennes ont compris et admis les critiques les
plus justifiées de la version orthodoxe de l’arbitrage d’investissements. Il existe ainsi une convergence objective mais le désaccord de départ entre la classe politique et les populations européennes, et les désaccords actuels entre les différents Etats du monde rendent difficile la mise en place de la cour multilatérale envisagée. En outre, son caractère à la fois novateur et ambitieux en fait un concurrent direct du système CIRDI. C’est cependant pour cette raison que, même si une articulation est techniquement envisageable, l’aboutissement du projet de cour multilatérale introduirait une véritable alternative politique au système actuellement dominant de règlement des différends relatifs aux investissements.
El proyecto de Tribunal Multilateral de Inversiones promovido hoy por la
Comisión Europea, el Consejo de la Unión Europea y los gobiernos de los Estados miembros no se originó a partir de una demanda de los ciudadanos europeos, sino más bien la expresión clara de su rechazo al arbitraje de inversiones. Sin embargo, tanto el fondo del proyecto como el foro elegido para discutirlo muestran que las autoridades nacionales y europeas han comprendido y aceptado las críticas más justificadas de la versión ortodoxa del arbitraje de inversiones. Existe, pues, una convergencia objetiva, pero el desacuerdo inicial entre la clase política y las poblaciones europeas, y los desacuerdos actuales entre los diversos Estados del mundo hacen que sea difícil establecer el tribunal multilateral previsto. Además, su carácter innovador y ambicioso lo convierte en un competidor directo del sistema del CIADI. Sin embargo, es por esta razón que, incluso si una articulación es técnicamente factible, la finalización del proyecto de un tribunal multilateral introduciría una verdadera alternativa política al sistema dominante actual de solución de controversias sobre inversiones.

L’étude de l’accord commercial conclu en 2012 entre l’UE, la Colombie et
le Pérou met au jour deu... more L’étude de l’accord commercial conclu en 2012 entre l’UE, la Colombie et
le Pérou met au jour deux « maladies » du Droit international actuel. La première tient au caractère non‐démocratique de la négociation, de la conclusion et de la ratification d’accords, qui empêchent en pratique des organes politiques élus d’adopter les règles nationales souhaitées par les populations qu’ils représentent. La seconde tient au caractère excessivement complexe, « économiste » et planificateur de tels accords. L’universitaire en Droit a le devoir de proposer des
remèdes à ces deux graves pathologies.
A review of the trade agreement concluded in 2012 between the EU and
Colombia and Peru reveals two major problems of contemporary international law. The first problem is the undemocratic nature of the negotiation, conclusion and ratification of agreements preventing democratically elected bodies from adopting the domestic rules desired by the people they represent. The second problem is that this kind of agreements are unduly complex, economistic and long‐term plans.
It is the law professor’s duty to propose remedies to these two very serious problems.
El estudio del acuerdo comercial concluido en 2012 entre la UE, Colombia y Perú revela dos problemas mayores del Derecho internacional actual. El primero, concierne el carácter no democrático de la negociación, de la conclusión y de la ratificación de acuerdos, que obstruyen en práctica los órganos políticos elegidos democráticamente de adoptar reglas nacionales deseadas por las populaciones que
representan. El segundo incumbe al carácter excesivamente complejo, económico y planificador de estos acuerdos. El universitario en Derecho tiene el deber de proponer remedios a estos dos grandes problemas.
Alors que le Japon est, pour les Occidentaux, un partenaire pacifique et fiable, les relations qu... more Alors que le Japon est, pour les Occidentaux, un partenaire pacifique et fiable, les relations qu’il entretient avec plusieurs de ses voisins sont tendues. À l’origine de ces tensions, des contentieux territoriaux persistants, la lancinante question des blessures infligées par le Japon à ses voisins durant la Guerre de trente ans (1931-1945) et surtout l’agitation nucléaire nord-coréenne et l’expansion chinoise en Asie. Afin de faire face à ces dangers, le Japon essaie de conserver le soutien des États-Unis et des institutions internationales tout en développant de nouvelles alliances et en renforçant sa capacité à recourir à la force.

La pression montante de la Chine et les incertitudes de la protection militaire et de la politiqu... more La pression montante de la Chine et les incertitudes de la protection militaire et de la politique commerciale des États-Unis forcent aujourd’hui le Japon à revoir sa stratégie à l’égard de la Chine. Les relations économiques qu’il entretient avec elle ont pris une grande importance mais il continue d’estimer qu’elle n’est pas totalement fiable, alors que les caractéristiques de l’économie et du régime politique du Japon le rapprochent plutôt des Occidentaux, spécialement des Européens. En vue de contenir l’expansion chinoise, il essaie de compléter l’alliance nouée avec les États-Unis et l’Australie en y intégrant les États intéressés du sud-est asiatique et surtout l’Inde. Enfin, afin d’assurer sa sécurité, le Japon se départit peu à peu du pacifisme radical qui était le sien, pour se doter des capacités juridiques et matérielles de recourir à la force en légitime défense collective et dans des opérations de maintien de la paix.
Uploads
Papers by Florian Couveinhes
On peut distinguer deux niveaux de finalités du droit international économique tel qu'il est ainsi étroitement entendu :
1. à un premier niveau, une finalité très générale et abstraite qui est le développement ou la croissance économique du monde entier – un monde pensé, à travers ces formules, comme sans frontière, sans inégalité et sans rapport de force donc sans problème de répartition, un monde aussi pensé comme un cadre vide plutôt que comme un environnement vivant et fragile ;
2. à un second niveau, une série de finalités très concrètes et de court terme : la sécurité juridique des investisseurs transnationaux, la protection de leurs capitaux et globalement la garantie juridique des pouvoirs des dirigeants des grands acteurs économiques face aux législations nationales.
Le sujet de la transition écologique remet en cause les catégories disciplinaires établies. Dans le domaine du droit, c’est particulièrement le cas de la division entre droit de l’environnement et droit économique, ou entre le premier et les différentes branches du second. Du point de vue de l’enseignement, répondre à cette remise en cause impose d’élaborer des cours et manuels nouveaux, dépassant le dogme du « soutien mutuel » et faisant face au problème fondamental qui est que les règles du droit économique sont susceptibles d’empêcher le droit de l’environnement d’atteindre ses objectifs, et vice-versa.
L'appréciation du caractère européen du Droit international d'hier ou d'aujourd'hui diffère suivant qu'on le rattache ou le détache de deux notions qui, sans s'identifier à lui, lui sont historiquement liées : le Droit des gens (jus gentium) et le Droit public de l'Europe. Si on rattache le Droit international actuel au jus gentium, il est évident qu'on lui trouve une racine essentiellement romaine et médiévale européenne. D'un autre côté, le jus gentium a partie liée, d'une part, avec le Droit international actuel et, d'autre part, avec l'histoire du Droit des gens en Europe. D'abord, la jurisprudence internationale passée et actuelle se réfère fréquemment à des règles, maximes et arguments tirés du jus gentium et plus largement du Droit romain. Ensuite, c'est à partir de débats sur le Droit naturel et sur le rapport du jus gentium à ce dernier que seront fixés, grossièrement du XVI e au XVIII e siècle, les contours et le contenu du Droit des gens reconnu par les États européens. Dès l'origine en effet, des débats ont opposé les jurisconsultes et théologiens de l'Europe sur la question de savoir si le jus gentium devait être identifié à la droite raison ou au Droit naturel (c'est la position de Gaïus au II e siècle avant Jésus-Christ, de Cicéron au I er , mais aussi celle d'Hugo Grotius au XVIIe siècle), si on pouvait au contraire le réduire à un Droit seulement arbitraire ou positif (cette opinion n'a cependant quasiment pas été endossée de manière explicite avant le XVIIe siècle), ou si une place spécifique devait être attribué au Droit des gens entre le Droit naturel et le Droit civil ou positif, ce qui constitue finalement peut-être l'opinion la plus fréquemment admise dans le temps. Au XVI e siècle, c'est à partir d'un débat théorique similaire que sont appréhendées les questions nouvelles que fait jaillir la découverte des « Indes ». Faut-il estimer avec Juan Ginés de Sepúlveda qu'au-delà des mers, le traitement des « Indiens » (en particulier la nécessité de les payer pour leur travail) ou l'appropriation de leurs terres doivent être déterminés à partir de l'autorité de fait s'exerçant actuellement sur eux, ou encore à partir des effets temporels de la bulle papale Inter Caetera (dans ce cas, le Droit des gens est un Droit positif), ou faut-il plutôt penser, avec Francisco Vitoria, que des règles et limites de raison universellement admissibles et universellement applicables s'imposent au pape comme à la couronne et aux conquistadors espagnols, de sorte qu'ils ne peuvent s'appuyer sur la distance ou sur une impunité de fait pour spolier, asservir ou même convertir de force les Indiens (le Droit des gens est alors un Droit naturel) ? Dans le même ordre d'idées, le XVIIe siècle voit non seulement s'opposer les jurisconsultes sur des questions théoriques relatives à la nature du Droit naturel (est-il la Raison elle-même, comme le dit Hugo Grotius, ou y accède-ton seulement par la Raison comme le pense Samuel Pufendorf ?), mais aussi sur des questions pratiques liées à ces désaccords fondamentaux.
I offer some possible answers to these questions, and try to shed light on the very specific situation in which the international legal and institutional order has been plunged for the past ten years, and to an even greater extent for the last two and a half years.
Le projet de Cour multilatérale d’investissements promu aujourd’hui par la Commission européenne, le Conseil de l’Union européenne et les gouvernements des Etats membres n’a pas pour origine une demande des citoyens européens, mais au contraire l’expression nette de leur refus de l’arbitrage d’investissements. Toutefois, tant le fond du projet que l’enceinte choisie pour le discuter montrent que les autorités nationales et européennes ont compris et admis les critiques les
plus justifiées de la version orthodoxe de l’arbitrage d’investissements. Il existe ainsi une convergence objective mais le désaccord de départ entre la classe politique et les populations européennes, et les désaccords actuels entre les différents Etats du monde rendent difficile la mise en place de la cour multilatérale envisagée. En outre, son caractère à la fois novateur et ambitieux en fait un concurrent direct du système CIRDI. C’est cependant pour cette raison que, même si une articulation est techniquement envisageable, l’aboutissement du projet de cour multilatérale introduirait une véritable alternative politique au système actuellement dominant de règlement des différends relatifs aux investissements.
El proyecto de Tribunal Multilateral de Inversiones promovido hoy por la
Comisión Europea, el Consejo de la Unión Europea y los gobiernos de los Estados miembros no se originó a partir de una demanda de los ciudadanos europeos, sino más bien la expresión clara de su rechazo al arbitraje de inversiones. Sin embargo, tanto el fondo del proyecto como el foro elegido para discutirlo muestran que las autoridades nacionales y europeas han comprendido y aceptado las críticas más justificadas de la versión ortodoxa del arbitraje de inversiones. Existe, pues, una convergencia objetiva, pero el desacuerdo inicial entre la clase política y las poblaciones europeas, y los desacuerdos actuales entre los diversos Estados del mundo hacen que sea difícil establecer el tribunal multilateral previsto. Además, su carácter innovador y ambicioso lo convierte en un competidor directo del sistema del CIADI. Sin embargo, es por esta razón que, incluso si una articulación es técnicamente factible, la finalización del proyecto de un tribunal multilateral introduciría una verdadera alternativa política al sistema dominante actual de solución de controversias sobre inversiones.
le Pérou met au jour deux « maladies » du Droit international actuel. La première tient au caractère non‐démocratique de la négociation, de la conclusion et de la ratification d’accords, qui empêchent en pratique des organes politiques élus d’adopter les règles nationales souhaitées par les populations qu’ils représentent. La seconde tient au caractère excessivement complexe, « économiste » et planificateur de tels accords. L’universitaire en Droit a le devoir de proposer des
remèdes à ces deux graves pathologies.
A review of the trade agreement concluded in 2012 between the EU and
Colombia and Peru reveals two major problems of contemporary international law. The first problem is the undemocratic nature of the negotiation, conclusion and ratification of agreements preventing democratically elected bodies from adopting the domestic rules desired by the people they represent. The second problem is that this kind of agreements are unduly complex, economistic and long‐term plans.
It is the law professor’s duty to propose remedies to these two very serious problems.
El estudio del acuerdo comercial concluido en 2012 entre la UE, Colombia y Perú revela dos problemas mayores del Derecho internacional actual. El primero, concierne el carácter no democrático de la negociación, de la conclusión y de la ratificación de acuerdos, que obstruyen en práctica los órganos políticos elegidos democráticamente de adoptar reglas nacionales deseadas por las populaciones que
representan. El segundo incumbe al carácter excesivamente complejo, económico y planificador de estos acuerdos. El universitario en Derecho tiene el deber de proponer remedios a estos dos grandes problemas.
On peut distinguer deux niveaux de finalités du droit international économique tel qu'il est ainsi étroitement entendu :
1. à un premier niveau, une finalité très générale et abstraite qui est le développement ou la croissance économique du monde entier – un monde pensé, à travers ces formules, comme sans frontière, sans inégalité et sans rapport de force donc sans problème de répartition, un monde aussi pensé comme un cadre vide plutôt que comme un environnement vivant et fragile ;
2. à un second niveau, une série de finalités très concrètes et de court terme : la sécurité juridique des investisseurs transnationaux, la protection de leurs capitaux et globalement la garantie juridique des pouvoirs des dirigeants des grands acteurs économiques face aux législations nationales.
Le sujet de la transition écologique remet en cause les catégories disciplinaires établies. Dans le domaine du droit, c’est particulièrement le cas de la division entre droit de l’environnement et droit économique, ou entre le premier et les différentes branches du second. Du point de vue de l’enseignement, répondre à cette remise en cause impose d’élaborer des cours et manuels nouveaux, dépassant le dogme du « soutien mutuel » et faisant face au problème fondamental qui est que les règles du droit économique sont susceptibles d’empêcher le droit de l’environnement d’atteindre ses objectifs, et vice-versa.
L'appréciation du caractère européen du Droit international d'hier ou d'aujourd'hui diffère suivant qu'on le rattache ou le détache de deux notions qui, sans s'identifier à lui, lui sont historiquement liées : le Droit des gens (jus gentium) et le Droit public de l'Europe. Si on rattache le Droit international actuel au jus gentium, il est évident qu'on lui trouve une racine essentiellement romaine et médiévale européenne. D'un autre côté, le jus gentium a partie liée, d'une part, avec le Droit international actuel et, d'autre part, avec l'histoire du Droit des gens en Europe. D'abord, la jurisprudence internationale passée et actuelle se réfère fréquemment à des règles, maximes et arguments tirés du jus gentium et plus largement du Droit romain. Ensuite, c'est à partir de débats sur le Droit naturel et sur le rapport du jus gentium à ce dernier que seront fixés, grossièrement du XVI e au XVIII e siècle, les contours et le contenu du Droit des gens reconnu par les États européens. Dès l'origine en effet, des débats ont opposé les jurisconsultes et théologiens de l'Europe sur la question de savoir si le jus gentium devait être identifié à la droite raison ou au Droit naturel (c'est la position de Gaïus au II e siècle avant Jésus-Christ, de Cicéron au I er , mais aussi celle d'Hugo Grotius au XVIIe siècle), si on pouvait au contraire le réduire à un Droit seulement arbitraire ou positif (cette opinion n'a cependant quasiment pas été endossée de manière explicite avant le XVIIe siècle), ou si une place spécifique devait être attribué au Droit des gens entre le Droit naturel et le Droit civil ou positif, ce qui constitue finalement peut-être l'opinion la plus fréquemment admise dans le temps. Au XVI e siècle, c'est à partir d'un débat théorique similaire que sont appréhendées les questions nouvelles que fait jaillir la découverte des « Indes ». Faut-il estimer avec Juan Ginés de Sepúlveda qu'au-delà des mers, le traitement des « Indiens » (en particulier la nécessité de les payer pour leur travail) ou l'appropriation de leurs terres doivent être déterminés à partir de l'autorité de fait s'exerçant actuellement sur eux, ou encore à partir des effets temporels de la bulle papale Inter Caetera (dans ce cas, le Droit des gens est un Droit positif), ou faut-il plutôt penser, avec Francisco Vitoria, que des règles et limites de raison universellement admissibles et universellement applicables s'imposent au pape comme à la couronne et aux conquistadors espagnols, de sorte qu'ils ne peuvent s'appuyer sur la distance ou sur une impunité de fait pour spolier, asservir ou même convertir de force les Indiens (le Droit des gens est alors un Droit naturel) ? Dans le même ordre d'idées, le XVIIe siècle voit non seulement s'opposer les jurisconsultes sur des questions théoriques relatives à la nature du Droit naturel (est-il la Raison elle-même, comme le dit Hugo Grotius, ou y accède-ton seulement par la Raison comme le pense Samuel Pufendorf ?), mais aussi sur des questions pratiques liées à ces désaccords fondamentaux.
I offer some possible answers to these questions, and try to shed light on the very specific situation in which the international legal and institutional order has been plunged for the past ten years, and to an even greater extent for the last two and a half years.
Le projet de Cour multilatérale d’investissements promu aujourd’hui par la Commission européenne, le Conseil de l’Union européenne et les gouvernements des Etats membres n’a pas pour origine une demande des citoyens européens, mais au contraire l’expression nette de leur refus de l’arbitrage d’investissements. Toutefois, tant le fond du projet que l’enceinte choisie pour le discuter montrent que les autorités nationales et européennes ont compris et admis les critiques les
plus justifiées de la version orthodoxe de l’arbitrage d’investissements. Il existe ainsi une convergence objective mais le désaccord de départ entre la classe politique et les populations européennes, et les désaccords actuels entre les différents Etats du monde rendent difficile la mise en place de la cour multilatérale envisagée. En outre, son caractère à la fois novateur et ambitieux en fait un concurrent direct du système CIRDI. C’est cependant pour cette raison que, même si une articulation est techniquement envisageable, l’aboutissement du projet de cour multilatérale introduirait une véritable alternative politique au système actuellement dominant de règlement des différends relatifs aux investissements.
El proyecto de Tribunal Multilateral de Inversiones promovido hoy por la
Comisión Europea, el Consejo de la Unión Europea y los gobiernos de los Estados miembros no se originó a partir de una demanda de los ciudadanos europeos, sino más bien la expresión clara de su rechazo al arbitraje de inversiones. Sin embargo, tanto el fondo del proyecto como el foro elegido para discutirlo muestran que las autoridades nacionales y europeas han comprendido y aceptado las críticas más justificadas de la versión ortodoxa del arbitraje de inversiones. Existe, pues, una convergencia objetiva, pero el desacuerdo inicial entre la clase política y las poblaciones europeas, y los desacuerdos actuales entre los diversos Estados del mundo hacen que sea difícil establecer el tribunal multilateral previsto. Además, su carácter innovador y ambicioso lo convierte en un competidor directo del sistema del CIADI. Sin embargo, es por esta razón que, incluso si una articulación es técnicamente factible, la finalización del proyecto de un tribunal multilateral introduciría una verdadera alternativa política al sistema dominante actual de solución de controversias sobre inversiones.
le Pérou met au jour deux « maladies » du Droit international actuel. La première tient au caractère non‐démocratique de la négociation, de la conclusion et de la ratification d’accords, qui empêchent en pratique des organes politiques élus d’adopter les règles nationales souhaitées par les populations qu’ils représentent. La seconde tient au caractère excessivement complexe, « économiste » et planificateur de tels accords. L’universitaire en Droit a le devoir de proposer des
remèdes à ces deux graves pathologies.
A review of the trade agreement concluded in 2012 between the EU and
Colombia and Peru reveals two major problems of contemporary international law. The first problem is the undemocratic nature of the negotiation, conclusion and ratification of agreements preventing democratically elected bodies from adopting the domestic rules desired by the people they represent. The second problem is that this kind of agreements are unduly complex, economistic and long‐term plans.
It is the law professor’s duty to propose remedies to these two very serious problems.
El estudio del acuerdo comercial concluido en 2012 entre la UE, Colombia y Perú revela dos problemas mayores del Derecho internacional actual. El primero, concierne el carácter no democrático de la negociación, de la conclusión y de la ratificación de acuerdos, que obstruyen en práctica los órganos políticos elegidos democráticamente de adoptar reglas nacionales deseadas por las populaciones que
representan. El segundo incumbe al carácter excesivamente complejo, económico y planificador de estos acuerdos. El universitario en Derecho tiene el deber de proponer remedios a estos dos grandes problemas.
Tout avait pourtant bien débuté. Commencées en 2009, les négociations ne s'étaient pas révélées trop difficiles, et l'accord n'en finissait même pas d'être conclu...
le 18 octobre 2013, le président de la Commission européenne José Manuel Barroso, et le Premier ministre canadien Stephen Harper annonçaient la fin des négociations. Selon les documents de la Commission, « [l]es négociations sur l’AECG [étaient] achevées et paraphées par les négociateurs principaux le 1er août 2014 » (Proposition de décision du Conseil relative à la signature de l’AECG, COM(2016) 444 final, 2016/0206 (NLE), p. 2). Le 26 septembre 2014, enfin, José Manuel Barroso, Stephen Harper, mais aussi le Président du Conseil de l’UE « fêtaient » la fin des négociations en rendant le texte public.
Ce n’est qu’à ce moment que les chaos de la grossesse se firent vraiment sentir...
I. Un accord qui n’en finit pas d’être définitif
II. Le désaccord sur le mode de ratification de l’accord
III. La décision de la Commission européenne : aspects juridiques et politiques
IV. La ratification de l’accord aux yeux des parlements et des populations des Etats membres
V. L’application provisoire de l’accord
cinq Etats s’y livrent à un marchandage...
1. L'orientation idéologique du Droit international économique (DIE).
Nous montrons que contrairement à ce qui est généralement affirmé en doctrine, ce qui fait l’unité et la cohérence du DIE tel qu’il est couramment entendu depuis les années 1990 n’est pas son objet mais son idéologie, c’est-à-dire une certaine idée de ce que doit être l’économie transnationale et son Droit.
On doit ainsi distinguer deux niveaux de finalités du DIE : à un premier niveau, une finalité très générale et abstraite qui est le développement ou la croissance économique du monde entier – un monde pensé, à travers ces formules, comme sans frontière, sans inégalité et sans rapport de force donc sans problème de répartition, un monde aussi pensé comme un cadre vide plutôt que comme un environnement vivant et fragile –; à un second niveau, une série de finalités très concrètes et de court terme : la sécurité juridique des investisseurs transnationaux, la protection de leurs capitaux et globalement la garantie juridique des pouvoirs des dirigeants des grands acteurs économiques face aux législations nationales.
2. La généalogie de la discipline DIE
Nous montrons que la discipline a été inventée par des universitaires occidentaux dans les années 1980, c’est-à-dire avant que ce Droit acquière, dans les années 1990, une consistance et un semblant d’unité dans les énoncés positifs du Droit et les institutions internationales. L'unité théorique de la discipline se fait autour de la finalité de soustraction des grands opérateurs économiques transnationaux, concrètement des actionnaires et dirigeants des grandes entreprises occidentales, à la folie du politique et en particulier à celle du législateur des États décolonisés. Cette finalité est le critère implicite mais central de construction et de découpage de la discipline DIE dans les années 1980. Positivement, il va permettre de réunir en un tout cohérent des règles juridiques et des institutions politiques jusqu’alors envisagées comme des éléments épars et dépourvus de coordination (le GATT, les traités d'investissement, le FMI et la Banque mondiale, etc.). Symétriquement, l’objectif disciplinaire de soustraction des opérateurs transnationaux à la folie du politique explique l’exclusion du champ du DIE de très nombreuses règles juridiques et institutions politiques visant explicitement à orienter les opérations économiques transnationales, mais avec d’autres finalités, notamment sécuritaire, sociale, sanitaire et écologique.
3. L'usage d'arguments économiques afin d'écarter ou de minorer les préoccupations écologiques
Nous montrons notamment que la théorie de l’avantage comparatif est employée comme justification « économique » ultime de l’intérêt universel de toute déréglementation du commerce et de toute protection des investissements transnationaux, et corrélativement de la méfiance systématique manifestée par les juridictions internationales (et les dirigeants d’entreprises transnationales et les gouvernements étrangers) à l’égard des législations sociales, sanitaires et écologiques.
Pourtant, il est connu que la théorie de l’avantage comparatif, élaborée il y a plusieurs siècles, a de nombreuses failles et limites. Si la robustesse de cette théorie, la légitimité de la méfiance qu’elle engendre à l’égard de toutes les législations restreignant le commerce, et les effets délétères que leur combinaison produit en pratique, constituent des tabous politiques, c’est sans doute en raison de l’ampleur des conséquences qu’une telle remise en cause risquerait d’entraîner : les milliers de pages des accords de commerce, les milliers de pages de concessions tarifaires, les milliers d’accords protégeant les droits des investisseurs transnationaux, tout l’échafaudage intellectuel et institutionnel de l’OMC, tout cela et toutes les relations économiques ainsi encadrées sont organisées autour de la croyance en la vérité absolue de la théorie de l’avantage comparatif.
4. La place réservée à l'environnement en DIE
Nous montrons que les traités de commerce et d’investissement peuvent aménager deux types de places très différentes aux considérations environnementales. Ils peuvent le faire au niveau des principes ou au niveau des exceptions.
Nous listons tout d'abord cinq types d’instruments, de politiques économiques, de chapitres d’instruments et de négociations internationaux essayant d'intégrer les préoccupations écologiques au niveau des principes. Il s’agit cependant d’éléments éparpillés et marginaux, qui ne modifient pas l’essentiel des pratiques des grandes entreprises, des Etats ou des institutions internationales : les traités d'investissement ne contiennent pour ainsi dire rien sur l’environnement , et les milliers de pages de concessions tarifaires et de règles diverses qu’on trouve dans les accords de l’OMC et les accords méga-régionaux de commerce et d’investissement n’intègrent l’environnement que sous l’angle des exceptions et dérogations aux règles générales qu’ils énoncent par ailleurs.
Néanmoins, l'évolution de la jurisprudence de l'Organe d'appel de l'OMC et celle des positions d'autres acteurs illustrent que les principes originels du "libre-échange", consistant à interdire les régimes différenciés appliqués à des marchandises ou des services en fonction de l'impact écologique de leur production, sont lentement érodés. Ainsi, notamment en raison des demandes de plus en plus fortes dans ces domaines, un changement sur la question cruciale des procédés et méthodes de production (PPM) est non seulement attendu, mais tout à fait envisageable en matière environnementale.
5. Que faut-il pour que le DIE devienne un levier de la transition écologique?
Afin de faire du DIE un levier de la transition écologique, nous proposons de le concevoir de manière plus dynamique, moins idéologique et plus large quant à ses finalités, quant à ses acteurs et quant aux manières de l’établir.
En pratique, l’urgence est que des instruments, des institutions et des procédures internationales permettent effectivement aux acteurs de l’écologie d’assurer par avance la protection des législations environnementales et des stratégies d’entreprises subséquentes (ou même antécédentes) face à la menace des contentieux juridiques et des mesures de rétorsion économiques.
Pour être efficace, une telle protection doit être largement admise au plan international. Elle doit donc reposer sur des accords internationaux ou au moins une coopération multilatérale.
En ce qui concerne les modalités de cette coopération, trois points sont essentiels : premièrement, plus aucune négociation ne doit être pensée comme économique ou écologique, et toutes doivent être considérées comme hybrides, les considérations économiques et écologiques devant être comprises a priori comme d’importances équivalentes ; deuxièmement, ces négociations doivent être menées dans des cadres permettant de mettre ces considérations à égalité, ce qui revient à dire qu’une puissante organisation internationale de la nature doit être établie et co-organiser les négociations « écolonomiques » avec l’OMC, qui est de fait le principal cadre multilatéral de négociation en matière économique ; troisièmement, ces négociations doivent faire participer les « acteurs de l’écologie » – les ONG environnementales mais également les associations de consommateurs, les syndicats, les citoyens, les scientifiques et les parlementaires – aux négociations et tout spécialement aux aspects économiques de ces négociations ; négativement, les règles qui régissent ces négociations doivent limiter efficacement les possibilités de lobbying et de capture des législateurs par les dirigeants et actionnaires de grandes entreprises.
En ce qui concerne l’objectif de cette négociation – déjà hybride quant à son objet, son cadre et ses participants –, l’important est qu’elle ne porte pas (ou pas principalement) sur des politiques déjà adoptées et des standards minimums universellement obligatoires, mais sur des standards écologiques élevés dont la mise en œuvre par des législations nationales ou européennes fait l’objet d’incitations internationales, et surtout dont la mise en œuvre entraîne une présomption de conformité de celles-ci avec le DIE, voire les immunise totalement des contentieux économiques.
La voie préconisée, notamment à partir de l'expérience même du succès du DIE des années 1990 à nos jours, consiste ainsi à s’entendre d’abord, non sur des règles substantielles universelles, mais sur une puissante organisation mondiale de la nature et la mise en œuvre régulière de procédures de protection anticipée des législations environnementales, sur un principe d’engagement unique (toute partie à ces procédures accepte les « labels de protection » qu’elles permettent de délivrer) et un principe d’immunisation des législations protégées devant les tribunaux nationaux.
La manière traditionnelle et libérale de comprendre de tels changements consiste à dire, simplement, qu’il s’agit de changements dans les politiques adoptées par les institutions, et reflétées dans le contenu des normes. Selon cette interprétation des changements en cours, ces changements n’ont pas et ne doivent pas avoir d’impact sur les institutions et les procédures, sur la nature des questions qu’on pose dans ces institutions, la manière dont elles sont résolues, et encore moins sur les notions mêmes qu’on emploie pour les décrire, les analyser, les résoudre. Il serait possible de faire face efficacement aux nouvelles urgences en conservant exactement les mêmes institutions, les mêmes procédures, les mêmes réflexes intellectuels et les mêmes notions, notamment des notions comme le Droit ou la sécurité juridique.
Dans cette optique, la sécurité juridique, c’est-à-dire la garantie de l’application effective des règles préalablement édictées, peut être invoquée par n’importe qui pour n’importe quoi. En réalité, cette notion ne prend sens pratique que rapportés aux institutions et aux règles de procédure qui permettent de la mettre en œuvre. Ce sont ces institutions et ces règles qui nous disent quels acteurs peuvent l'invoquer et quels intérêts et projets elle permet de protéger et de faire prospérer.
Or en pratique, dans les États occidentaux et plus encore en Droit international et européen, des institutions et procédures nombreuses et efficaces sont mises au service de ce qu’Antoine Bailleux appelle le Droit croissanciel , tandis que celles qui le sont au service du Droit de l’environnement, ou de la lutte contre la fraude fiscale, par exemple, sont plus rares, moins efficaces, et parfois même inexistantes, notamment en Droit international.
Il en résulte que dans les Droits occidentaux, européens ou internationaux, la sécurité juridique est pensée par référence au droit au juge exercé par des acteurs économiques et des personnes fortunées au soutien d’un très petit nombre de « droits et libertés économiques ».
Pourtant, en pratique, rien n’a sans doute été plus délétère pour la mise en œuvre des législations sanitaires, sociales, fiscales ou environnementales, que l'exercice d'un tel droit.
Pour assurer le respect de législations sanitaires ou environnementaux, il faut sans doute procéder tout autrement et parfois même à l’inverse; et c'est ainsi que dans toute une série de cas - celui des lois allemandes de 2022 sur les énergies renouvelables étant ici prises en exemple - la mise à l’écart du droit au juge n’est plus envisagée, comme à l’habitude, comme une atteinte à la sécurité juridique – sous-entendu aux droits fondamentaux attribués aux entreprises – mais au contraire comme une mise en œuvre de la sécurité juridique.
En ce que, dans ce cas, la sécurité juridique vise à faire primer le souci de résilience des États et des populations face aux crises et à l’incertitude, sur le souci classique et libéral des dirigeants économiques à disposer d’un environnement juridique stable et favorable, nous proposons de l’appeler « résilience juridique ».
Et les changements actuels peuvent ainsi être compris à la lueur de la concurrence désormais faite, à la sécurité juridique, par la résilience juridique.