Philippe Blay, L'Île du rêve de Reynaldo Hahn : contribution à l'étude de l'opéra français de l'époque fin-de-siècle, Villeneuve d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion, 2000, 3 vol., coll. Thèse à la carte ; thèse nouveau régime, musicologie, Tours, 1999 ; 2e éd., Lille, 2003., 1999
Représentée à l'Opéra-Comique en mars 1898, L'Île du rêve, idylle polynésienne de Reynaldo Hahn, ... more Représentée à l'Opéra-Comique en mars 1898, L'Île du rêve, idylle polynésienne de Reynaldo Hahn, est considérée ici comme l'un des chaînons caractéristiques de la scène lyrique française des dernières années du XIXe siècle. Écrite par un élève privilégié de Jules Massenet – situé au croisement de plusieurs réseaux sociaux (le Conservatoire, le milieu littéraire, les salons) –, l'œuvre est tirée d'un roman à la mode de Pierre Loti, Le Mariage de Loti. Elle met en lumière l'engouement de l'époque pour les adaptations littéraires et s'inscrit dans un mouvement tardif de renouvellement de l'exotisme. Elle correspond aussi à la première création d'Albert Carré, nommé directeur de l'Opéra-Comique alors que cette institution fait l'objet d'un débat sur son avenir.
L'Île du rêve s'inscrit également dans l'espace littéraire de Loti, au vaste jeu de miroirs. Les champs thématiques communs au récit initial, au livret et à la musique permettent d'éclairer la transposition d'une œuvre littéraire en une œuvre lyrique qui participe de l'évolution musicale de son temps : l'organisation formelle, l'agencement motivique, l'écriture vocale, mettent en relief une expression sonore continue où un chant peu différencié se déploie au-dessus d'une texture thématique récurrente et peu évolutive. La réception de l'œuvre rend saillantes certaines attitudes mentales de l'époque : la crainte de la décadence, l'obsession de la régénération de l'art français, le besoin de renouvellement des formes et des sujets. Elle permet d'examiner L'Île du rêve comme une production lyrique contemporaine des aspirations symbolistes à un théâtre dématérialisé, mais esthétiquement proche de l'idéal d'immuabilité parnassien. En cela, cette partition, qui se situe à mi-chemin entre l'exotisme codifié de Lakmé de Léo Delibes (1883) et le renouveau scénique et musical que va représenter Pelléas et Mélisande de Claude Debussy (1902), est symptomatique du tournant du siècle.
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Performed at the Opéra-Comique in March 1898, L'Île du rêve, a Polynesian idyll by Reynaldo Hahn, can be considered as one of the characteristic elements of the French lyric stage in the last years of the 19th century. Composed by a favourite pupil of Jules Massenet, who was at the junction of several social networks (the Paris Conservatoire, the literary circle, the Salons), the work was taken from a successful novel by Pierre Loti, Le Mariage de Loti. It brings out the passion that the public developed at the time for literary adaptations and participates in a late movement of renewal of exoticism. It is also the first production of Albert Carré, appointed manager of the Opéra-Comique while this institution was the subject of a debate about its future.
L'Île du rêve takes place as well in Pierre Loti's literary space, filled with reflection effects. The sets of themes that are common to the initial story, the libretto and the music, illustrate the transposition of a literary work into a lyric work that takes part in the musical evolution of the time : the formal organization, the layout of the motifs, the vocal style, emphasize the continuous sound production whose unvaried singing spreads on a recurrent and unevolutive thematic field.
The reception of the work throws some standpoints of the time into relief : the fear of decadence, the obsession about the regeneration of French art, the wish to found new forms and subjects. It gives the opportunity to regard L'Île du rêve as a lyric creation which is contemporary with the Symbolist aspirations for a dematerialized theatre but, at the same time, is aesthetically close to the Parnassian ideal of immutability. For these reasons, the score, that is halfway between the codified exoticism of Lakmé, by Léo Delibes (1883), and the theatrical and musical revival represented by Pelléas et Mélisande, by Claude Debussy (1902), is symptomatic of the transition from the 19th century to the 20th century.
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Papers by Philippe Blay
Ainsi va-t-on des années 1880 à 1945, en y croisant une galerie de personnalités depuis les années fin-de-siècle – où Hahn devient un familier du salon d’Alphonse Daudet – jusqu’aux temps modernes, où il doit se cacher des persécutions de Vichy et des Allemands. Jules Massenet, le maître vénéré, et Sarah Bernhardt, ensorcelante égérie, s’en détachent, figures mythiques d’une vie qui passe aussi par Londres, Bucarest ou Le Caire… et sera bouleversée par deux guerres mondiales.
Marcel Proust, rencontré en mai 1894, et qui « ne fait rien comme les autres humains », y jouit d’un statut particulier. Sa présence est sous-jacente et continue. Pour Hahn, « Marcel désigne toujours Marcel Proust », comme s’il ne pouvait y en avoir d’autre ; comme s’il ne pouvait qu’être là « toujours ».
Le discours du journal intime, au ton qui passe de l’humour à la mélancolie, donne un arrière-plan, une profondeur de champ à la musique du compositeur qui se révèle aussi grand écrivain.
Aujourd’hui pourtant, la musique de Reynaldo Hahn séduit une nouvelle génération d’interprètes et sa stature est reconsidérée, notamment en ce qui se rapporte à ses échanges intellectuels et esthétiques avec Proust. Cette biographie se propose, en revenant aux sources – dont son journal inédit – et en ne s’aliénant pas aux clichés, de retrouver l’artiste sous le personnage. Autrement dit le créateur d’une œuvre multiple, riche de bien d’autres poèmes vocaux et ouvrages lyriques que ceux toujours entendus, où le ballet côtoie l’oratorio et le quatuor à cordes. Certaines œuvres, comme Sagesse ou La Corsaire, sont étudiées ici pour la première fois. On découvrira également un interprète d’exception et un homme de lettres accompli, chanteur-né, chef d’orchestre et directeur musical de grande envergure, critique musical influent et alerte conférencier.
Restait à faire apparaître sous le plastron du contempteur brillant d’une modernité de commande, acteur incontournable de la vie musicale de l’entre-deux-guerres et parangon incontesté de l’esprit français le plus piquant, un être voué à l’art s’exprimant par nécessité intérieure. Fidèle à une conception non progressiste de la beauté et meurtri face à une époque d’intenses mutations qui ne lui correspondait pas, Reynaldo Hahn s’est voulu à la fois un éclectique et un classique.
L'Île du rêve s'inscrit également dans l'espace littéraire de Loti, au vaste jeu de miroirs. Les champs thématiques communs au récit initial, au livret et à la musique permettent d'éclairer la transposition d'une œuvre littéraire en une œuvre lyrique qui participe de l'évolution musicale de son temps : l'organisation formelle, l'agencement motivique, l'écriture vocale, mettent en relief une expression sonore continue où un chant peu différencié se déploie au-dessus d'une texture thématique récurrente et peu évolutive. La réception de l'œuvre rend saillantes certaines attitudes mentales de l'époque : la crainte de la décadence, l'obsession de la régénération de l'art français, le besoin de renouvellement des formes et des sujets. Elle permet d'examiner L'Île du rêve comme une production lyrique contemporaine des aspirations symbolistes à un théâtre dématérialisé, mais esthétiquement proche de l'idéal d'immuabilité parnassien. En cela, cette partition, qui se situe à mi-chemin entre l'exotisme codifié de Lakmé de Léo Delibes (1883) et le renouveau scénique et musical que va représenter Pelléas et Mélisande de Claude Debussy (1902), est symptomatique du tournant du siècle.
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Performed at the Opéra-Comique in March 1898, L'Île du rêve, a Polynesian idyll by Reynaldo Hahn, can be considered as one of the characteristic elements of the French lyric stage in the last years of the 19th century. Composed by a favourite pupil of Jules Massenet, who was at the junction of several social networks (the Paris Conservatoire, the literary circle, the Salons), the work was taken from a successful novel by Pierre Loti, Le Mariage de Loti. It brings out the passion that the public developed at the time for literary adaptations and participates in a late movement of renewal of exoticism. It is also the first production of Albert Carré, appointed manager of the Opéra-Comique while this institution was the subject of a debate about its future.
L'Île du rêve takes place as well in Pierre Loti's literary space, filled with reflection effects. The sets of themes that are common to the initial story, the libretto and the music, illustrate the transposition of a literary work into a lyric work that takes part in the musical evolution of the time : the formal organization, the layout of the motifs, the vocal style, emphasize the continuous sound production whose unvaried singing spreads on a recurrent and unevolutive thematic field.
The reception of the work throws some standpoints of the time into relief : the fear of decadence, the obsession about the regeneration of French art, the wish to found new forms and subjects. It gives the opportunity to regard L'Île du rêve as a lyric creation which is contemporary with the Symbolist aspirations for a dematerialized theatre but, at the same time, is aesthetically close to the Parnassian ideal of immutability. For these reasons, the score, that is halfway between the codified exoticism of Lakmé, by Léo Delibes (1883), and the theatrical and musical revival represented by Pelléas et Mélisande, by Claude Debussy (1902), is symptomatic of the transition from the 19th century to the 20th century.
Proust découvre à travers Hahn tout un pan technique de la composition musicale et se confronte aux aspirations artistiques d’un disciple de Massenet, attaché au classicisme. Les connaissances éclectiques et encyclopédiques de son ami s’infiltrent en secret dans ses écrits, dès les textes contemporains de leurs premiers échanges jusqu’aux profondeurs de la Recherche du temps perdu. Le cycle romanesque se nourrit ainsi du dialogue entre deux tempéraments que tout, dans leurs conceptions esthétiques, semblerait opposer.
Table des matières :
Avant-Propos, par Eva de Vengohechea
Préface, par Luc Fraisse
L’Île du rêve, par Philippe Blay
Du côté de chez les Verdurin, par Luc Fraisse
Les intermittences massenetiennes, par Jean-Christophe Branger
Des Portraits de peintres à Du côté de chez Swann, par Jean-Christophe Branger
Portraits de musiciens, par Philippe Blay
Le périscope de Proust, par Luc Fraisse
Bibliographie sélective
Index des noms de personnes